Pendant qu’ils apprennent l’anglais...

Publié le mardi 27 janvier 2004 par admin_sat , mis a jour le lundi 27 septembre 2004

Alors que la population native anglophone mondiale représente 8 % de l’humanité, en France, le pourcentage des élèves et étudiants qui subissent l’apprentissage de l’anglais se situe autour de 90%, condamnés au moins à 95% à être en état d’infériorité linguistique par rapport à des natifs anglophones.

Il s’avère que des organisations européennes donnent la préférence à des English native speakers (natifs anglophones) dans leurs annonces de recrutement dont 700 figurent sur le site www.lingvo.org/eo/2/15. La démarche àplat-ventriste des pays non-anglophones dispense les natifs anglophones de sacrifices énormes en temps, argent et efforts pour apprendre d’autres langues. Les petits oiseaux n’ont rien remarqué. Le gouvernement non plus...

“Lorsqu’on m’a parlé de l’espéranto comme langue internationale, j’ai souri avec hésitation, car je suis Anglais, et j’étais convaincu que, si une seule langue mondiale était possible, cette langue ne pouvait être que l’anglais. Cependant, par la suite, j’ai médité là dessus et je me suis convaincu qu’aucun peuple n’accepterait l’hégémonie que s’assurerait ainsi le royaume britannique, tout comme moi, je ne tolérerais jamais pareille hégémonie de la part d’un autre peuple. Il devint alors clair pour moi que la langue neutre Espéranto pouvait être prise en considération.”

Prononcées en 1908 au Guildhall de Londres par le lord-maire, Sir Vezey Strong, lors d’une réception officielle accordée au Dr Zamenhof et aux participants du 3ème congrès universel d’espéranto qui s’était tenu à Cambridge, ces paroles montrent que l’on ne doit pas systématiquement rejeter la dérive anglomaniaque sur les Anglais. Aux États-Unis, le CD que le trompettistede jazz Rick Braun a osé intituler Esperanto connaît un franc succès (4ème au “top ten”). Voir en rubrique “Ça bouge partout”.

Pourquoi incriminer les anglophones ?

En 1922, l’année où Hitler stigmatisa l’espéranto pour la première fois, lors d’un discours vociféré à Münich, alors que le gouvernement français mettait tout en oeuvre pour noyer la poussée de cette langue tant à la Société des Nations qu’en France, entre autres par l’interdiction de l’usage des locaux scolaires pourles cours d’espéranto, c’est un noble britannique, futur prix Nobel de la Paix (1937), Lord Edgar Robert Cecil (1864-1958), qui avait exhorté la Commission de Coopération intellectuelle de la SDN à “se souvenir qu’une langue mondiale n’était pas nécessaire seulement pour les intellectuels mais avant tout pour les peuples eux-mêmes“.

Lors du Congrès International des Étudiants Fédéralistes qui se tint à Amsterdam en 1949, Lord John Boyd Orr of Brechin (1880-1971), prix Nobel de la Paix 1949, président du Conseil International de la Paix et de la Ligue Mondiale des organisations pacifistes, intervint ainsi en faveur de l’espéranto : “Cette langue est nécessaire pour la vie internationale, infiniment nécessaire. Si elle se propageait à travers le monde, ce serait une véritable bénédiction pour l’humanité. Pragmatiques, des linguistes anglais de renom en perçurent très vite les avantages et les qualités. Parmi eux le philologue et linguiste William Edward Collinson (1889- 1969) : “Bien qu’il soit facile à apprendre, une étude patiente et approfondie s’avère profitable en retour.” Philologue, brillant latiniste de l’université de Cambridge, le professeur John Eyton B. Mayor, s’était forgé un avis en l’apprenant à 82 ans durant la semaine du congrès de Cambridge, en 1907 : “Comme préparation à l’étude d’autres langues, une langue aussi simple, aussi régulière, aussi riche en voyelles que l’espéranto aurait une grande valeur, plus particulièrement pour les Anglais. On devrait enseigner d’abord l’espéranto aux enfants pour passer ensuite au français, au latin, à l’allemand et au grec.

Professeur à l’Université d’Edimbourg, Charles Sarolea plaida dans le même sens : “Je considère l’étude de l’espéranto comme une sorte de philosophie du plus haut niveau. Sans exagération, je puis dire que je ne connais pasbeaucoup de matières qui favoriseraient autant l’intellect que l’espéranto.”

Professeur de physique à l’Université de Cambridge, prix Nobel de physique 1906, Sir Joseph J. Thomson fut le premier vice-président de l’Association espérantiste scientifique internationale (ISAE) en 1907-1908. Filleul du compositeur Felix Mendelssohn, l’artiste-peintre Felix Moscheless était espérantiste.Le journaliste et philantrope William Thomas Stead, qui périt en 1912 à bord du Titanic, soutenait énergiquement l’espéranto dans sa prestigieuse Review of Reviews.
Fondateur du scoutisme, Lord Baden Powell, de même que de son épouse, en reconnut le bien fondé (voir en p. II). Pour l’écrivain anglais Herbert G. Wells, le Dr Zamenhof fut “l’un des plus nobles spécimens de cet idéalisme international qui est le don naturel du monde juif à l’humanité”.

Les enseignes des boutiques du ghetto juif, dans le film Le Dictateur, ressemblent à un clin d’oeil de Charlie Chaplin à l’égard de cette langue qui, en 1940, lors de la sortie de ce film, était déjà plongée dans la tourmente sous les régimes totalitaires. Le discours du barbier, par lequel se termine le film, va tout à fait dans le sens de la pensée du Dr Zamenhof. Auteur du Seigneur des anneaux, John R. R. Tolkien (1892-1973) avait appris l’espéranto autour de ses 15 ans. Il aimait beaucoup lire dans cette langue en faveur de laquelle il s’exprima ainsi en 1932 : “Je conseille à tous ceux qui en ont le temps où l’envie de s’occuper du mouvement pour une langue internationale : soutenez loyalement l’espéranto”.

Aujourd’hui, l’un des plus brillants spécialistes de la phonétique de la langue anglaise, le professeur John C. Wells (University College London) est une figure éminente du monde espérantophone (v. “Ça bouge partout”). Et, en France, les ministres successifs de l’Éducation nationale, philosophes ou scientifiques inclus, qui n’ont aucune réponse aux problèmes de fracture sociale, de violence, de fuite dans la drogue, de racisme et d’antisémitisme, pratiquent une politique d’ostracisme à l’égard de l’oeuvre et de la personne du Dr Zamenhof que le grand philosophe et réformateur social indien Vinoba Bhave considérait comme un mahatma*. Afin de placer les peuples devant le fait accompli, alors que des anglophones — et pas des moindres — nous tendent la main depuis des décennies, certains font obstruction au débat sur la question de la communication linguistique et de l’espéranto en Europe et dans le monde. Il faut le dire.

Henri Masson

* Grand esprit, terme utilisé seulement pour Gandhi et les plus grands sages de l’Inde.