L’échec du volapük et le succès de l’espéranto

Publié le dimanche 4 août 2002 par admin_sat

La mention de mon nom, à la fin de votre émission de samedi dernier, m’a valu jusqu’à ce moment de nombreux témoignages de satisfaction et des remerciements alors que ma contribution a été bien minime : quelques heures de recherches. Je crois que vous avez mis du baume sur le cœur de ceux qui donnent tant d’eux-mêmes pour faire progresser une idée qui est non seulement généreuse (ce qu’on leur dit parfois pour mieux leur asséner ensuite le coup du lapin : "oui, mais l’espéranto, c’est artificiel, ça n’a pas marché, il est mort", etc.) mais réellement pratique, riche de satisfactions, porteuse de valeurs de civisme qui font aujourd’hui défaut. Je vous remercie donc vivement en leur nom.

Très rares sont les personnes qui ont étudié l’histoire de la recherche d’une langue internationale sur laquelle de nombreux philosophes, philologues, linguistes et humanistes se sont penchés depuis quelques siècles. La seule étude approfondie et récente sur ce sujet est celle menée par le professeur Umberto Eco pour préparer son cours intitulé "La recherche de la langue parfaite", présenté au Collège de France et publié en plusieurs langues en 1994 dans la collection "Faire l’Europe" des éditions du Seuil. Il est paru aussi en traduction espéranto (pas en volapük...). Rédigé par un professeur d’anglais, le "Que sais-je ?" n°1511 des Presses Universitaires de France donne une présentation concise de cette démarche.

L’ignorance du grand public sur ces questions permet à certains jeter la confusion dans les esprits, voire même le discrédit sur une idée qui a été combattue par les régimes totalitaires, mais pas seulement totalitaires, comme vous avez pu vous en rendre compte. L’amalgame a été maintes fois utilisé à l’encontre de l’espéranto. Chaque citoyen de n’importe quel pays peut aujourd’hui vérifier et constater l’existence de clubs et associations d’espéranto, de radios qui émettent dans cette langue (Internet facilite cette recherche) alors qu’il n’y a rien de comparable pour le volapük. Il existe aujourd’hui quelques personnes qui le connaissent. Parmi elles, certaines sont avant tout des espérantistes dont la motivation est la curiosité en matière d’inventivité linguistique.

Bon nombre de sympathisant de l’espéranto reprochent parfois aux espérantistes de ne jamais se faire entendre : "Pourquoi vous ne faites pas ceci. Y’a qu’à...". Bien peu d’entre eux s’imaginent l’ampleur du travail accompli et l’épaisseur du mur du silence, voire de bêtise épaisse et de mauvaise foi qui est opposé à cette langue.

Certes, les espérantistes ne sont pas des poseurs de bombes. Ils ne font pas de victimes innocentes. Ils ne font pas couler de sang. Ils ne cassent rien, ne souillent rien. Le seul tueur en série (oh, pardon ! pour être compris dans les médias d’aujourd’hui,il faut dire "serial killer" !) qui existe dans leurs rangs est un malheureux Cherokee dont le plus grand crime est sans doute
d’avoir plaidé pour les droits de ses frères indiens. Donc un faux tueur. Où est l’intérêt ? Il faut du vrai ! Et puis, la prison de San Quentin, en Californie, c’est loin. Lorsqu’une dame américaine avait fait mis son caniche à sécher dans son four à micro-ondes, ça, le monde entier l’avait su dans les heures suivantes ! C’est tellement plus important ! Ça vaut le déplacement ! Où est l’intérêt médiatique de N. I. Sequoyah, cet espérantiste avec qui j’avais correspondu en espéranto lorsqu’il était à l’US Navy et que j’avais eu la surprise de rencontrer en Angleterre ? Là, lors d’une conférence en espéranto sur le soroban, ce formidable système japonais de calcul, la conférencière japonaise lui avait proposé de se mesurer à elle avec une calculette électronique. Elle avait donné le résultat d’une multiplication à plusieurs chiffres alors qu’il n’avait pas fini de les poser. Donc l’espéranto n’a rien qui puisse faire la une des journaux et les titres des grands dossiers de l’actualité radio-télévisée nationale !

Cela n’empêche pas qu’il y a un essor incontestable de l’espéranto en même temps qu’une mutation de la communauté de ses locuteurs. M. Lescure a très justement fait remarquer qu’il y a eu une coupure avec la jeunesse avant 1968 et un peu après. Le climat de 68 n’a pas été propice à l’espéranto ; il y avait trop d’idées ébouriffées et d’ânes sauvages (on est à peu près du même âge, vous et moi). Tout ça ne se fait pas du jour au lendemain. Le TGV ne démarre pas à 300 km/h. Il faut du temps pour vaincre l’inertie. Lorsqu’un avion décolle, c’est là qu’il met toute la puissance de ses moteurs ou réacteurs ; beaucoup d’énergie est utilisée pour combattre la pesanteur. Celle des préjugés est énorme. Enfin, Internet, qui est le plus formidable complément technique de cette langue sans frontières, est une invention encore récente. Il y a un fait notable : c’est que que la moyenne des usagers d’Internet en milieu espérantophone est largement supérieure à celle des usagers dans la population (25% en Vendée).

Il n’y a pas échec de l’espéranto. Et qu’y a-t-il de plus gênant pour certains, qui ont prétendu que l’espéranto a disparu, que ce même "disparu" continue de parler ? A plus forte raison lorsque la politique linguistique qu’ils ont défendue a débouché sur l’échec et alors que ce qu’ils préconisent est tout autant voué à l’échec, mais un échec à grands frais pour des raisons neuropsychologiques contre lesquelles les projets de loi ne peuvent rien...

Précisément sur France Culture, il y a quelques semaines, Louis-Jean Calvet, dont on sera surpris d’apprendre qu’il est linguiste au vu de ce qu’il a pu dire à propos de l’espéranto, s’est lancé dans cette explication : "Ces propositions sont généreuses. On prend la langue de personne. On crée une langue universelle. L’espéranto, quand on regarde comment ça marche, ce n’est pas une langue universelle. C’est une langue européenne. On a pris un peu de latin, un peu de français, d’allemand, d’anglais, et puis voilà (sic !), et de russe. Pour un Chinois ou pour un Arabe, c’est aussi compliqué qu’autre chose(sic !). (...) Une langue comme l’espéranto, dans laquelle jamais un enfant n’a chanté une comptine (sic !),si vous voulez, n’est pas une langue, c’est un code (sic). Alors, pourquoi pas ? Mais quelle pauvreté de pensée derrière tout çà !(sic)".

Tout est soit inexact, soit présenté de travers, et même incohérent : « On prend la langue de personne », puis « On à pris un peu de latin, de français, d’allemand, d’anglais... » ! Il y a comme une odeur de malveillance. L’anglais et le français figurent parmi les langues qui ont largement puisé dans celles qui sont mentionnées et qui ne sont pas, chacune d’elles, « la langue de personne » (voir à ce sujet les avis de linguistes de renommée mondiale, comme le furent notamment Antoine Meillet, Edward Sapir...Donc une belle démonstration de « la pauvreté de pensée » qui, du fait qu’elle a été exprimée en français, ne concerne finalement pas l’espéranto.
S’il y a échec de l’espéranto, où est la réussite ?

Est-ce dans le bilan dressé en 1995 par la Commission des Affaire Culturelles du Sénat (rapport Legendre) qui faisait état d’une "hégémonie écrasante de l’anglais" (qui s’est accrue depuis), du "recul de l’allemand et de l’italien", du "naufrage lusitanien", "de la place résiduelle laissée à certaines langues de l’Union européenne, néerlandais, grec, langues scandinaves", de "la part restreinte réservée aux grandes langues de la planète, russe, chinois, japonais, arabe" et du "cercle des langues disparues qui tend à s’élargir" ?

Les espérantistes s’échangent une multitude d’informations et coupures de presse qui démontrent l’échec de la politique linguistique défendue au plus haut niveau. Ils sont bien plus éclairés sur ces questions que certains tentent de le faire croire.

Pourquoi y aurait-il tant de colloques sur la question des langues, si cette politique linguistique avait réussi ? Pourquoi le Conseil de l’Europe et l’Union européenne auraient-ils senti la nécessité de proclamer 2001 l’Année européenne des langues ?

La réussite n’existe encore nulle part : cela fait des décennies que l’on tourne en rond autour de ce sujet. Personne n’a trouvé de solution valable parmi ceux à qui la parole a été accordée dans les médias jusqu’à ce jour (merci d’avoir fait exception !). Il est insensé de faire barrage à une proposition jugée réaliste par Umberto Eco, ou que Claude Hagège lui-même n’exclut pas d’emblée, en donnant d’elle une vision déformée aux yeux du public. Pour avoir étudié l’histoire de l’espéranto, et avoir moi-même vécu et observé un peu plus du dernier quart de son histoire (c’est malgré tout 68 qui m’a donné l’idée de rechercher, et j’ai franchi le pas en 1970), je puis affirmer qu’Umberto Eco a vu très juste lorsqu’il a dit que l’espéranto avait une histoire très belle.
L’espéranto n’est pas une langue assistée alors que l’on se porte au chevet de bien d’autres : il vit par la volonté d’une forme de diaspora qui l’a hissé au rang où il se trouve, et le fait de proférer et répéter des mensonges ne change rien à la réalité. Sans aide de l’État, sans rien coûter au contribuable, il continue sa progression. Il démontre que l’on peut faire beaucoup avec peu de moyens. C’est peut-être ce qui donne de l’urticaire à des docteurs Knock de la communication linguistique.

Si le Traité de Rome, en 1957, avait doté l’Europe de l’espéranto comme langue commune, la barrière des langues serait déjà quasiment abolie sur notre continent. Des moyens auraient ainsi été rendus disponibles non seulement pour améliorer et diversifier l’enseignement des langues, mais aussi pour lutter contre l’analphabétisme et l’illettrisme, pour mettre fin aux classes surchargées qui constituent l’une des sources de l’échec scolaire, pour donner aux enseignants plus de temps à consacrer à leurs élèves et donc, par cela même, mieux faire barrage à la délinquance. N’est-ce pas curieux, au moment où l’on s’interroge aussi sur la délinquance (pas moins dangereuse dans le milieu des cols blancs - par les déséquilibres économiques et sociaux qu’elle provoque -, que dans les quartiers interdits), que restent exclus de l’enseignement ce modèle de civisme que fut le Dr Zamenhof et l’oeuvre empreinte d’humanisme que fut la sienne ?

L’énorme dilapidation de moyens qui ont été consacrés et continuent de l’être au profit de la seule langue des ma »tres du moment se retourne maintenant contre nous, y compris ceux qui n’ont jamais approuvé cette politique. Ce n’est que maintenant que tout le monde s’interroge sur la menace que constitue cet "invité" - l’anglais - qui prend toutes ses aises dans notre domicile alors que le monde espérantophone mettait déjà depuis longtemps en garde contre cette menace. La politique officielle a été celle du père OK : le monde entier sait dire "OK", donc ça suffit amplement pour proclamer et répéter à l’infini que l’anglais est la langue internationale.
Le Führer ne voulait pas que l’espéranto fasse fureur.

De 1921 à 1923, à la même époque où le gouvernement français avait donné la consigne de "noyer la poussée espérantiste" à la Société des Nations, un ministre chinois de l’éducation, Tsaï Yuan Peï, fut le premier au monde à s’efforcer d’introduire l’espéranto dans l’enseignement de son pays. Dans la même période, justement au moment où cette langue connaissait un réel essor en Allemagne et où il était enseigné à 20 000 écoliers, Hitler stigmatisait pour la première fois l’espéranto lors d’un discours prononcé à Nuremberg.

Lors d’un entretien avec Rudolf Hess, le successeur désigné d’Hitler, le journaliste suisse Hans Unger avait noté ces paroles de celui qui était appelé à poursuivre la politique de son ma »tre : "L’espéranto est une salade linguistique absolument inacceptable issue d’un cerveau juif ; mais ce n’est pas le seul obstacle, du moins à mon point de vue. L’Allemagne est une grande puissance, et ses idées, où son idéologie, vainquent peu à peu le monde entier - au moins l’Europe. C’est sans doute NOUS, et notre Führer, non point les fantaisistes, qui organiserons ce continent, qui créerons la "Paneurope", cet état fédéral européen auquel ont vainement rêvé les générations passées... Naturellement, nous devrons alors avoir une langue pour toute l’Europe. Ce sera l’allemand ! Des linguistes allemands ont déjà créé une langue simplifiée que nous avons baptisée "Weltdeutsch". Nous n’avons pas besoin de la salade linguistique artificielle mélangée par un juif polonais, car nous avons une charmante langue naturelle dont la vie et l’évolution sont garanties par le vigoureux peuple allemand. L’espéranto est un dangereux jouet de fantaisistes. Et puisque nous vivons la vie réelle, nous devons le combattre par tous les moyens, pour qu’il ne tourmente pas les têtes".

Les "tourments" de l’espéranto auraient pu para »tre délicieux aux centaines de millions d’hommes auxquels le nazisme a infligé le pire... Ce n’est donc pas d’aujourd’hui que datent les tentatives de faire passer les espérantistes pour des fantaisistes, de tourner l’espéranto en dérision, de le discréditer. Mais les hommes passent et l’espéranto reste. Les calomnies à son encontre lui portent certes préjudice pour le moment, mais lorsque viendra la rétrospective, son prestige n’en sera que plus grand. Cette rétrospective, elle est en route. Jean-Claude Lescure y a contribué, et vous aussi, en lui donnant la parole. Les espérantistes eux-mêmes prennent conscience d’une histoire dont ils peuvent être fiers.

L’espéranto devra vous être reconnaissant d’avoir ainsi conduit cette émission avec honnêteté. Il y a encore beaucoup à découvrir sur l’histoire de cette langue, et je crois que le temps approche où le public sera stupéfait que tout ceci ait été déformé et caché. Je crois en outre que nous retrouverons alors des personnalités exceptionnelles à nos côtés comme dans la période qui a été présentée dans votre émission.
"Je suis sympathisant de l’espéranto et je pense que la Langue Internationale est un besoin non seulement pour les intellectuels, mais avant tout pour les peuples eux-mêmes" avait dit un brillant anglophone qui aurait pu plaider pour l’anglais, Lord E.A. Robert Cecil, prix Nobel de la Paix. Il avait compris, en être humain, et non en technocrate, l’intérêt des peuples eux-mêmes et non d’une caste politique.

C’est dans ce sens qu’allait aussi Franz Jonas, président de la république d’Autriche de 1965 à 1974. Il parlait couramment l’espéranto et pouvait à ce titre s’exprimer en connaissance de cause : "Bien que la vie internationale devienne toujours plus intense, le monde officiel perpétue les vieilles et inadéquates méthodes de compréhension linguistique. Il est vrai que la technique moderne contribue à faciliter la tâche des interprètes professionnels lors des congrès, mais rien de plus. Leurs moyens techniques sont des jouets inadaptés par rapport à la tâche d’ampleur mondiale à accomplir, c’est-à-dire s’élever au-dessus des barrières entre les peuples, entre des millions d’hommes" (extrait d’un discours prononcé en espéranto lors du congrès universel d’espéranto de Vienne, en 1970, devant près de 2000 participants ; il existe certainement des enregistrements).

Franz Jonas apporta une période de prospérité à son pays, et il en fut de même pour Willem Drees, premier ministre des Pays-Bas, espérantiste aussi, artisan du relèvement de ce pays après la seconde guerre mondiale : "Nous devons enfin avoir une langue commune pour l’utilisation internationale et, aussi séduisante que puisse para »tre l’idée de choisir pour cette langue internationale l’une de celles qui sont déjà parlées par des centaines de millions d’hommes, je suis malgré tout convaincu qu’une langue neutre comme l’espéranto - devant laquelle tous les hommes se trouvent égaux en droits - est préférable".

Même Tito, qui avait appris l’espéranto en prison, avait pris conscience de cette nécessité : "L’espéranto doit être introduit dans les écoles, non point par un décret d’en haut, mais par l’exigence consciente de l’opinion publique informée, par conséquent depuis la base, d’une manière vraiment démocratique". (1953)

Vous remarquerez, dans tous ces cas, que l’on pense d’abord aux populations, ce qui n’est pas le cas des technocrates de Bruxelles. Il est en effet parfaitement clair que la politique plurilingue que préconisent ceux qui, jusqu’à ce jour, ont eu la parole dans les médias, ne peut en aucune manière être celle des peuples de l’Union européenne, de ceux qui doivent travailler après leur scolarité et même de ceux qui ont le privilège d’apprendre plus longtemps. Et ceci à plus forte raison à l’échelle mondiale au moment où l’on parle de la mondialisation.

L’échec, il est dans la politique linguistique qui a été appliquée jusqu’à ce jour, et il est prévisible que celle qui est défendue par le pouvoir débouchera elle-même sur un échec, tout simplement parce que : "Si l’apprentissage des langues étrangères est poussé à fond de manière à profiter à l’esprit, il demande un temps immense. S’il est superficiel, il n’apporte rien à la culture intellectuelle.". Exprimé dès 1918 par le grand linguiste Antoine Meillet, dans son ouvrage "Les langues dans l’Europe nouvelle", cet avis est toujours d’actualité. Rien de nouveau donc sous le soleil.

Une étude approfondie et récente, basée sur une longue expérience vécue, effectuée par un ancien traducteur de l’Onu et de l’OMS, montre justement comment s’explique, sous l’aspect neuropsychologique, ce processus qui conduit à l’échec de la politique linguistique, depuis l’enseignement des langues jusqu’à l’utilisation de palliatifs pour remédier à ses insuffisances. Il s’agit d’une communication de Claude Piron, présentée le 3 mars dernier à Bordeaux sur invitation de l’Institut Goethe, dans le cadre de l’Année européenne des langues. Intitulée "L’Européen trilingue : un espoir réaliste ?", elle expose avec clarté le mécanisme psychique qui rend la solution du plurilinguisme plus utopique que l’espéranto. Le plurilinguisme ne sera possible que pour une frange réduite de la population, sauf s’il consiste à permettre de bredouiller plusieurs langues au plus grand nombre.

Voulons-nous une Europe de beaux parleurs multilingues mais incompétents dans divers domaines essentiels, ou une Europe plus technocratique et moins humaine que jamais ? Ou une Europe de citoyens hautement compétents dans leur profession et enfin capables de dialoguer et de communiquer leurs travaux dans une langue qu’ils n’auront guère de peine à ma »triser dans les meilleurs délais ? Le choix officiel semble être le premier. Libre à ceux qui le défendent de croire que le temps et les moyens accordés en plus pour un enseignement incohérent des langues ne sont pas obligatoirement soustraits à d’autres matières essentielles. Si le but était de renforcer le sentiment de nécessité de l’anglais comme langue unique, on ne pourrait faire mieux.

Pour les espérantistes, c’est le second, et ils laissent au public le soin de voir où sont le vrai et le faux dans tout ce qui est décidé au plus haut niveau, de juger individuellement sur la base d’une recherche et d’une réflexion personnelles, et non du seul ouï-dire pour référence.

J’espère que ces quelques réflexions vous aideront à comprendre pourquoi l’espéranto a eu jusqu’à maintenant du mal à émerger. Comme l’a dit le professeur Umberto Eco, les raisons ne sont pas linguistiques mais politiques.

Compte tenu du principe de vos émissions, il y a eu aussi une disproportion du temps consacré au passé et au présent, mais je ne vous en tiens pas rigueur car tout ce qui a été dit est resté fort intéressant.
J’ai remarqué qu’il y a eu une allusion à un soutien de Jacques Chirac lors d’une campagne présidentielle. J’avoue ne jamais en avoir eu connaissance. Par contre, j’ai obtenu de la préfecture de Tulle une photocopie de délibération du Conseil Général de la Corrèze (séance du 23 juin 1972) dans laquelle, alors qu’il était président, appara »t le vúu que "La langue internationale Espéranto devienne langue à option à tous les degrés de l’enseignement et aux examens officiels". Par ailleurs, en tant que secrétaire général de SAT-Amikaro, j’ai reçu du candidat François Mitterrand, pour les présidentielles de 1981, une lettre du 14 avril dont la conclusion était : "Si les Français m’accordent leur confiance, je demanderai au Gouvernement de soumettre au Parlement cette proposition de loi ». La suite ?... Vous l’avez déjà devinée !

Je souhaite vivement que M. Lescure poursuive ses recherches, car il y a matière en abondance. Lorsque le professeur Umberto Eco avait répondu à Franz-Olivier Giesbert, à propos de la question plus vaste de la recherche de la langue parfaite, que "cette recherche aurait pu occuper une vingtaine de savants pour quarante ans", et qu’"on pourrait tirer une encyclopédie en vingt-cinq volumes" (Le Figaro, 19 août 1993), ça donne une idée de l’immensité de la tâche à accomplir.

Ce n’est que pure hypocrisie que de proclamer d’un côté les droits de l’homme et les principes de démocratie, et d’un autre côté de refuser aux peuples le seul moyen par lequel, sur le plan linguistique, le principe d’égalité des chances et des droits peut se réaliser dans les meilleures conditions et les meilleurs délais.
Lénine, celui-là même qui disait "Aucun privilège pour aucun peuple ni pour aucune langue quels qu’ils soient", se contredisait lui-même en objectant pour rejeter l’espéranto (sous l’influence d’Elizavéta Kroupskaïa, son épouse) : "Nous avons déjà trois langues mondiales, et le russe sera la quatrième" !

Les espérantistes travaillent pour l’établissement de relations constructives entre les peuples, et ils ont souvent été des précurseurs. Ils poursuivent leur tâche pour abolir le dernier mur de la honte qui subsiste à l’époque d’Internet, un mur qui a été bien peu entamé par la politique linguistique - et ceci à grands frais -, une politique dont l’échec est ainsi démontré.
Qu’est-ce qui est toujours prêt (et toujours frais) pour servir ?