Lettre ouverte à Luc Ferry

Publié le mardi 25 mars 2003 par admin_sat , mis a jour le lundi 9 août 2004

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Le 25 mars 2003

Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale
110, rue de Grenelle
75357 Paris cedex 07

Monsieur le Ministre,

Plusieurs députés vous ont interrogé récemment sur la place que vous entendez donner à l’espéranto dans l’enseignement.

Au vu de votre réponse, la question qui se pose en premier est de savoir si vous avez réellement ouvert le dossier concernant cette langue.

Trois ouvrages récents invitent le public à réfléchir, l’un sur les falsifications de l’Histoire : « Les mensonges de l’Histoire » (Pierre Miquel, éd. Perrin), l’autre sur « la loi du silence qui continue de régner, en France, sur des pans entiers de l’information » : « Le rapport Omerta 2003 » (Sophie Coignard, éd. Albin Michel), l’autre enfin sur les mensonges qui ont conduit tant de peuples, durant des millénaires, à sombrer dans l’abominable : « Les saigneurs de la guerre » (Jean Bacon, éd. Phébus). Il s’agit donc de questions qui concernent tous les citoyens au plus haut point.
L’espéranto a été victime de mensonges, de la loi du silence, des guerres et des persécutions sous les régimes totalitaires.

N’y a-t-il pas, dans votre ministère, des zones d’ombre, qu’il conviendrait d’éclairer ? Tout laisse supposer que ce courrier, comme des milliers d’autres, y compris de députés, ira à la corbeille ou dans un fond de tiroir, ou, dans le meilleur des cas, recevra une réponse stéréotypée dont le texte n’a guère changé dans le fond depuis au moins vingt ans. C’est pourquoi il paraît utile de joindre à la présente une lettre ouverte à laquelle, sinon vous, le public, les médias et les élus auront accès par Internet. Vous pourrez, bien entendu, ne pas en prendre connaissance.

Mais vous pourrez aussi, contrairement à vos prédécesseurs récents ou anciens, montrer que vous êtes un homme de pensée. Et ce sera tout à votre honneur.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.

Henri MASSON,
Secrétaire Général de SAT-Amikaro,
Président d’Espéranto-Vendée


Lettre ouverte à M. Luc Ferry

Ministre de l’Éducation nationale

Monsieur le Ministre,

Lors de la campagne des élections présidentielles de 2002, monsieur Jacques Chirac a fait la réponse suivante à un courrier du vice-président d’Espéranto-France :
«  Il ne fait aucun doute que, si le sort des urnes m’est favorable, je soumettrai au prochain gouvernement, et au ministre de l’Éducation nationale en particulier, la question de son inclusion comme option au baccalauréat, notamment au regard des souhaits exprimés par les élèves et parents, et de la possibilité de recruter suffisamment d’examinateurs compétents  ».
À la suite de cette lettre, plusieurs députés vous ont écrit afin de vous demander ce que vous envisagiez de faire en ce sens. Ils ont essuyé un refus de votre part. Vous le justifiez par le fait que, par rapport aux langues régionales ou nationales dont l’identité reposerait « sur l’existence de supports littéraires, historiques ou géographiques », « sa caractéristique même de langue neutre, n’inclut pas cette dimension d’ordre culturel ».

À ce sujet, la linguiste Henriette Walter a dit fort justement : « Une langue, c’est une façon de voir le monde ». En effet, l’intérêt de l’espéranto, dont la diffusion est mondiale, est justement d’être une langue neutre et de ne pas être lié à une entité, à une identité, nationale ou ethnique, à une culture géographiquement limitée. Il n’en est que mieux la langue d’approche des autres langues et cultures, le véhicule par lequel celles-ci peuvent être transmises sans être filtrées, déformées ou dénaturées.
Les problèmes de communication entre les peuples ont préoccupé des savants, des penseurs et des philosophes tels que Vives, Leibniz, Komensky, Descartes, Condorcet, Ampère, à des époques où les populations étaient encore analphabètes et ne parlaient que des dialectes. En France, le temps n’est pas si lointain où la population était en grande partie illettrée. C’était encore le cas lorsque l’espéranto a vu le jour, en 1887. À notre époque, les problèmes de l’analphabétisme et de l’illettrisme sont loin d’être résolus, alors qu’une partie démesurée du budget de l’Éducation nationale et des efforts du pays est engloutie dans l’enseignement d’une seule langue étrangère dans la majorité des établissements d’enseignement (alors que le terme officiel est « enseignement des langues étrangères »), ce qui sape la connaissance de notre propre langue. Aucune réflexion réelle n’a été abordée sur ce sujet, qui est tout aussi tabou que celui de l’espéranto.

Durant ses 115 ans d’histoire, l’espéranto n’a pas vécu en vase clos. Sa littérature originale et traduite est abondante pour une langue si jeune, et qui a été plus souvent entravée, voire persécutée, que soutenue par les États. Dans une recommandation votée en 1954, la Conférence générale de l’UNESCO avait reconnu « les résultats obtenus par l’espéranto sur le terrain des échanges intellectuels internationaux et pour le rapprochement des peuples ».

De par sa diffusion mondiale, à l’inverse de langues liées à une culture géographiquement limitée, l’espéranto donne ce regard d’homme libre dont les élèves ont le plus grand besoin à notre époque.
Issu des langues indo-européennes par son vocabulaire, asiatique par certaines de ses caractéristiques, l’espéranto s’est enrichi au contact permanent des langues et des cultures les plus variées. Il en a absorbé, en quelque sorte — et continue d’en absorber — l’histoire. Il ne lie pas celui qui l’apprend à une culture spécifique. Mieux que n’importe quel autre idiome, il permet d’accéder aux langues et aux cultures que le monde moderne a tendance à reléguer aux oubliettes.

L’espéranto est aujourd’hui la seule langue offrant la neutralité du latin, avec les difficultés énormes d’apprentissage en moins. Sous l’aspect propédeutique, il assouplit en outre le sens linguistique de l’élève et atténue sensiblement ses inhibitions. C’est pourquoi il suscite souvent un grand enthousiasme chez les enfants comme chez les adolescents : c’est la langue qui aide à découvrir et à aimer les langues. Pour ceux qui l’aprennent, c’est l’échelle dont les premiers barreaux n’ont pas été supprimés (voir le document annexe : Enseignement d’orientation linguistique ).
En conséquence, sur quoi s’appuie réellement votre refus de l’admettre aux épreuves du baccalauréat, de permettre son expérimentation, de l’intégrer progressivement dans les programmes d’enseignement en fonction des résultats obtenus ?

La continuité dans l’erreur

Lorsque vous répondez : « Cette politique vise à offrir à tous les élèves un parcours linguistique susceptible de leur permettre, au terme de la scolarité obligatoire, d’accéder à la maîtrise de deux langues vivantes, à la fois comme outil de communication et comme vecteur de la découverte culturelle des pays où elles sont en usage », nul n’est naïf au point de ne pas comprendre que l’ « outil de communication » dont il est question n’est autre que l’anglais et lui seul. Ou, plus exactement, l’anglo-américain. Le renforcement de la position de l’anglais dans l’enseignement se fait au détriment de celui du français et des autres matières, y compris les langues vivantes, ce qui mène tout droit à l’aliénation culturelle dont les générations futures feront les frais. C’est une lourde hypothèque sur leur avenir. Nous en payons déjà les conséquences par la situation de dépendance dans laquelle cette politique nous place par rapport aux pays du réseau d’espionnage Echelon et en particulier de leur chef de file.

Il s’agit là d’une politique de continuité par rapport à celle dont les effets s’avéraient déjà désastreux en 1995 : « L’évolution actuelle se traduit en effet par l’hégémonie écrasante de l’anglais, une régression des grandes langues européennes de proximité et une disparition progressive des langues dites rares qui sont pourtant utilisées par des populations considérables de la planète. »

« Le recul de l’allemand et de l’italien, “le naufrage lusitanien”, la place résiduelle laissée à certaines langues de l’Union européenne (néerlandais, grec, langues scandinaves), la part restreinte réservée aux grandes langues de la planète (russe, chinois, japonais, arabe), constituent autant d’éléments d’une évolution qui tend à élargir le cercle des langues disparues ». C’est en effet ce qui peut être lu dans le Rapport n° 73 du Sénat, dit Rapport Legendre (p. 5), intitulé Vers un nouveau contrat pour l’enseignement des langues vivantes, un rapport dont a résulté... ce dont toute montagne accouche.

Une telle justification, en fait issue non point d’une réflexion, mais de la répétition pure et simple des arguments stéréotypés déjà utilisés par vos prédécesseurs, est-elle digne d’un philosophe, donc d’un homme de pensée ?

Un ministre socialiste de l’Éducation nationale avait utilisé un prétexte semblable en 1982 pour rejeter son introduction dans l’enseignement, alors que son parti avait déposé deux propositions de loi en ce sens en 1975 et 1979 ! Il est mort en 1988, mais l’espéranto lui a survécu, comme à tous ses prédécesseurs. La survie de l’espéranto ne dépend plus, depuis déjà fort longtemps, de sa situation dans un seul pays. Il aurait déjà pu disparaître dès 1895, à la suite de la publication en espéranto d’un écrit de Tolstoï dans le seul journal en espéranto existant à l’époque, lorsque la censure tsariste le frappa, alors que la majeure partie de ses lecteurs étaient en Russie. Ce ne fut pas le cas. Sa vitalité et son essor actuels montrent qu’il survivra sans peine à tous les successeurs de ce ministre.
Si on demandait à des lycéens qui était Alain Savary, bien peu seraient capables de répondre qu’il fut ministre de l’Éducation nationale, précisément du 22 mai 1981 au 19 juillet 1984. Comme suite à sa réponse, l’association SAT-Amikaro avait demandé à un universitaire suisse francophone, Claude Piron, de combler quelques lacunes de la culture générale du résident de la rue de Grenelle. La lettre de Claude Piron, dont le parcours linguistique et professionnel hors du commun mériterait d’être évoqué (ancien traducteur polyvalent de l’ONU et de l’OMS pour l’anglais, l’espagnol, le russe et le chinois), fut publiée sous le titre Culture et Espéranto dans le supplément Objectif 87 de la revue SAT-Amikaro de mars 1984 (exemplaire ci-joint). On peut la consulter sur le site <[www.lve-esperanto.com/bibliotheque/-> http://www.lve-esperanto.com/bibliotheque/]>.
Claude Piron est aussi l’auteur d’un ouvrage édité en 1994 chez L’Harmattan, Le Défi des langues : du gâchis au bon sens, qui constitue un document de réflexion indispensable sur les questions de langues, depuis leur enseignement jusqu’à leur usage dans la communication linguistique internationale.

Sur la base de sondages réalisés, l’un en 1984 par SAT-Amikaro au salon de l’Étudiant, l’autre par des étudiants du lycée Pierre Mendès-France de La Roche-sur-Yon en 2000-2001, on constate qu’environ 50% des lycéens et des étudiants pourraient dire de l’espéranto que c’est une langue internationale, ce qui est plutôt honorable, compte tenu de la chape de plomb qui est maintenue sur cette langue par le Ministère de l’Éducation nationale. Alain Savary eut comme successeurs Jean-Pierre Chevènement, Lionel Jospin et Jacques Lang : tous répétèrent la même chose de la même façon. Il est clair que tous les prétextes sont bons pour couler l’espéranto.

Dans quelques dizaines d’années, les lycéens sauront peut-être qui était Jules Ferry, mais combien sauront dire qui fut Luc Ferry ? Les confusions risquent d’être fréquentes entre les deux noms.

Serait-il impossible que ces mêmes lycéens puissent dire un jour de Luc Ferry qu’il fut « ce ministre qui eut le courage, l’honnêteté intellectuelle, le scrupule de juger l’espéranto autrement que sur la seule référence de ses prédécesseurs : le ouï-dire ». Qu’il fut, en France, « le premier des ministres de l’Éducation nationale à avoir introduit l’espéranto dans l’enseignement au même titre que les autres langues vivantes, ceci à l’instar de Tsaï Yuanpei qui, en Chine, en 1912, sous le gouvernement de Sun Yatsen, fut le premier ministre de l’éducation au monde qui s’efforça d’introduire l’espéranto dans l’enseignement de son pays  » ? Comme ce serait beau, que vous fussiez ce ministre-là !

Le professeur Umberto Eco, du Collège de France, a regardé l’espéranto avec dédain jusqu’au jour où, pour la préparation d’un cours, il fut amené à étudier cette langue sous divers aspects. Ses recherches l’ont amené à conclure que cette langue a été « construite avec intelligence  », qu’elle a « une histoire très belle » (L’Événement du Jeudi) et que, « du point de vue linguistique, elle suit vraiment des critères d’économie et d’efficacité qui sont admirables » (Paris Première, 27.02.1996).

Aperçu historique

Monsieur le Ministre, l’occasion s’offre à vous de sortir du ridicule de vos prédécesseurs !

Puis-je vous suggérer un débat public enrichissant avec un érudit et polyglotte, Georges Kersaudy, l’auteur de Langues sans frontières (éd. Autrement, Paris, 2002) ? Sa carrière de fonctionnaire international l’a amené à parler, écrire et traduire une cinquantaine de langues dont l’espéranto. Il est la preuve vivante que cette langue, apprise durant son adolescence, lui a été bénéfique. Elle a été pour lui le point de départ d’un étonnante carrière.

Puis-je vous signaler un analyste érudit du monde arabe, auteur d’ouvrages sur l’islam, l’anthropologue Maxime Rodinson, qui a appris l’espéranto très jeune, puis une trentaine de langues ? Il est du même avis et affirme que le Dr Zamenhof était un génie.

Puis-je vous mentionner l’Allemand Reinhard Selten, Prix Nobel de sciences économiques 1994, qui considère, lui aussi, que l’espéranto, pourtant appris tout seul et en dehors du cadre scolaire, a été pour lui un apport précieux ?

Récemment, et très justement, vous avez pris des mesures pour faire régresser le racisme et la violence dans les établissements d’enseignement. Or, même sur ce terrain, l’espéranto s’avère être un auxiliaire précieux, du fait qu’il est beaucoup plus qu’une langue. Il est en mesure d’apporter à l’Europe et à l’humanité ce qu’une langue ethnique ou nationale apporte à une ethnie ou une nation : le sentiment d’appartenance à une entité plus vaste qui n’affecte aucunement le sentiment d’appartenance d’origine mais amoindrit le risque de dérives telles que le chauvinisme, la xénophobie, le mépris de la différence. Il amène à considérer l’homme d’un autre pays, d’une autre ethnie, avant tout comme un homme.
Voici une dizaine d’années, à la suite d’une collaboration efficace d’environ deux ans, un ancien rédacteur en chef de l’AFP, M. René Centassi, m’avait demandé de participer avec lui à la rédaction d’une biographie du Dr Zamenhof, le père de l’espéranto. Intitulé L’Homme qui a défié Babel, cet ouvrage, dont la seconde édition est parue en décembre 2002 chez L’Harmattan, en même temps que sa version espéranto, montre précisément le combat que Zamenhof mena contre le racisme, la xénophobie, la haine. C’est bien plus que la biographie d’un homme hors du commun et l’histoire d’une langue. La vie du Dr Zamenhof est riche en repères pour une jeunesse qui a du mal à en trouver dans la société actuelle. La fuite dramatique d’un grand nombre de jeunes vers la drogue, au pire vers le suicide qui prend des proportions alarmantes, ne devrait-elle pas nous inciter à explorer toutes les voies possibles, à n’en dédaigner aucune ?

C’est précisément parce que la philosophie de l’espéranto est à l’opposé de la haine, du racisme, de la xénophobie, que la communauté espérantophone a subi des persécutions sous tous les régimes totalitaires (en particulier en Allemagne nazie et en Russie stalinienne) ou a été contrainte de vivre dans la clandestinité (entre autres sous le régime de Vichy, sous Tchang Kaï-chek, Ceausescu, Salazar...).

L’entrée de l’espéranto dans les établissements d’enseignement est-elle plus à craindre que celle de cette manifestation crétinisante et mercantile, dont «  l’existence de supports littéraires, historiques ou géographiques » sur laquelle elle se fonde, peut être mesurée à l’aune du matraquage publicitaire, cette manifestation qui, sous le nom d’Halloween, a toujours eu toutes les facilités pour y entrer ? Est-ce Halloween qui ouvrira et élèvera l’esprit des enfants ? Est-ce Halloween qui favorisera leur meilleure compréhension du monde ?

En 1922, l’un de vos lointains prédécesseurs, Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique, avait interdit l’utilisation des locaux scolaires pour les cours d’espéranto. Or, 1922, c’est l’époque où le gouvernement français fit occuper la Ruhr. Il fit représenter la France à la SDN par l’historien, académicien et ex-ministre des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux, un thuriféraire de l’impérialisme français.

Léon Bérard eut un imitateur en la personne du ministre de l’éducation du Troisième Reich, Bernhard Rust, qui, le 17 mai 1935, émit lui aussi un décret d’interdiction d’utilisation des locaux scolaires pour les cours d’espéranto. Motif : « le soutien à des langues artificielles telles que l’espéranto n’a pas de place dans l’État national-socialiste ». Plus tard, Bérard devint ambassadeur du gouvernement de Vichy auprès du Saint-Siège. C’est tout dire...

Un décret du 18 février 1936, émis par Martin Bormann sur ordre de Reinhard Heydrich, interdit à tous les membres du parti national-socialiste et des organisations affiliées d’appartenir aux associations œuvrant pour une langue artificielle, ce qui frappait évidemment en premier lieu l’espéranto. Motif : « cette démarche était “ en contradiction avec les principes de base du national-socialisme ” ». Quant à Rudolf Hess, le dauphin d’Hitler, il considérait l’espéranto comme « une salade linguistique ».

L’un des principaux inspirateurs du national-socialisme, qui soutenait la théorie de la supériorité de la race germanique, fut le comte Joseph de Gobineau (1816-1882). Dans son Essai sur l’inégalité des races, il avait soutenu que « la hiérarchie des langues correspond rigoureusement à la hiérarchie des races ». Ceci peut aider à comprendre pourquoi l’espéranto n’a jamais joui d’une grande estime dans certaines sphères. Le climat de nationalisme exacerbé propagé en France et en Allemagne avant la Première Guerre mondiale, ainsi que d’antisémitisme qui culmina lors de l’affaire Dreyfus (n’oublions pas que le Dr Zamenhof était d’origine juive) n’a évidemment pas contribué à renforcer le prestige de l’espéranto dans ces mêmes milieux.
Il est bien déplorable, et même consternant, que l’Éducation nationale soit le dernier lieu où l’on trouve aujourd’hui des séquelles de périodes si peu glorieuses de notre histoire.

Telles sont donc les vraies références des pires adversaires de l’espéranto, et il serait déshonorant pour la France que le gouvernement persistât à pratiquer à son égard une politique du silence qui s’apparente à une forme de révisionnisme : entretenir tour à tour le dédain et le mépris à l’encontre d’une langue contre laquelle de nombreux crimes ont été commis, maintenir le silence, effacer la mémoire, dissimuler des faits historiques aux citoyens et en particulier à la jeunesse.

Les barrages opposés à l’espéranto ne sauraient cependant déshonorer cette langue : ils ne déshonorent que ceux qui les dressent et les maintiennent. Persister à lui opposer des chicanes ne peut que renforcer le prestige d’une langue qu’une communauté, plus souvent entravée qu’aidée par les pouvoirs, a hissée au niveau de celles qui sont les plus utilisées dans les échanges internationaux.
Lors de la visite récente du Président de la République en Algérie, j’ai été frappé par l’expression du visage de tant de gens, surtout d’enfants et de jeunes, qui souriaient de bon cœur et avec espoir. Pour avoir vu le regard d’Algériens chargé de haine, au premier rang desquels se trouvaient des enfants et des jeunes, lors de ce que l’on appelait “une opération de maintien de l’ordre”, après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, j’ai ressenti ce contraste avec plus de force. En effet, au sud de l’Algérois, à Sidi-Aïssa, onze personnes avaient été égorgées, sans doute pour avoir été du côté de la France, et notre présence avait suscité des manifestations. Le 1er juillet, le jour de l’indépendance, j’ai vu aussi, et j’ai photographié, les manifestations qui eurent lieu devant notre camp de parachutistes de Sidi-Ferruch. Aucune provocation, aucun geste de haine, mais seulement la joie pour cette population — hélas, trompée par la suite — de penser pouvoir enfin forger son destin comme elle l’entendait. Or, aujourd’hui, de tous les pays du Maghreb, c’est en Algérie que se manifeste le plus grand intérêt pour l’espéranto de par l’esprit qui s’en dégage.
Cet esprit, il existait déjà au temps de la première période de cette langue qui se répandit d’abord en Russie. Même dans les pires conditions climatiques, des gens parcouraient de grandes distances pour ne pas manquer un cours d’espéranto ou pour accueillir un visiteur étranger qui pratiquait cette langue.
Cet esprit, on le trouve à travers toute l’histoire de l’espéranto, et en particulier dans ces périodes tragiques où sa pratique exposait à des visites de la police secrète, à des chicanes, à des tracasseries, à des perquisitions, à l’emprisonnement, voire à la déportation, aux travaux forcés et à la peine de mort, non seulement dans l’Allemagne nazie et l’URSS, mais aussi au Portugal, en Roumanie, etc.

De nos jours, la Corée du Nord reste le dernier État où l’espéranto est interdit. Vice-premier ministre, ministre des affaires étrangères, espérantiste, Hunyung Park fut exécuté en décembre 1953 par le régime nord-coréen de Kim Il-sung. Depuis, jamais l’espéranto n’a eu droit de cité dans ce pays. Lors de l’occupation nazie en Estonie, où les membres espérantistes du Parlement étaient nombreux, le ministre des affaires sociales Neeme Ruus fut exécuté ainsi que l’écrivaine Helmi Dresen. L’engagement pour l’espéranto était en effet lié, pour beaucoup d’espérantistes, à un engagement social. Faudrait-il ouvrir aussi les pages sur la relation du Maccarthysme à l’espéranto ? L’histoire des persécutions qui ont frappé l’espéranto et entravé sa marche est relatée dans un ouvrage de 546 pages de texte très dense paru en 1988 en Allemagne (RFA) aux éditions Bleicher sous le titre La Danghera Lingvo, donc en espéranto. Il est paru aussi en allemand, en japonais, en italien et en russe.

Pensez-vous donc vraiment que l’espéranto soit dépourvu de dimensions historiques ou géographiques ? Si oui, quelles sont vos références ? Et si ces dimensions sont différentes de celles des langues régionales et nationales, sont-elles pour autant négligeables et sans intérêt ? Langue créée pour la communication équitable entre les peuples, excluant la discrimination, l’espéranto est en soi une école de civisme planétaire. Il est conforme à l’esprit de l’Article premier de la Déclaration universelle des Droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns et les autres dans un esprit de fraternité ».

Cela compte-t-il si peu dans le monde d’aujourd’hui, alors que justement, dans son entretien télévisé du 10 mars sur TF1 et France 2, le chef de l’État a insisté à plusieurs reprises sur l’importance du dialogue entre les communautés, les cultures et le respect de l’autre ? Où est le respect de l’autre quand l’instrument linguistique qui facilite le dialogue, qui est lié de par ses origines à des valeurs morales d’une profonde richesse, est maintenu à l’écart ?

Ce combat pour une langue si porteuse de foi en l’homme, inspiré justement par la soif de fraternité du Dr Zamenhof, a été mené et l’est encore par des personnes de toutes conditions sociales. Président de la république d’Autriche de 1965 jusqu’à sa mort en 1974, réélu, Franz Jonas fut de ceux qui osèrent afficher leur appartenance à la communauté espérantophone. Même chose pour Wilhelm Drees (1886-1988), premier ministre des Pays-Bas et artisan du relèvement de ce pays après la Seconde Guerre mondiale.

Ces dernières années, parmi les gens de condition parfois plus que modeste, j’ai eu connaissance d’un musulman pakistanais qui consacrait une grande partie du peu de ressources dont il disposait pour faire connaître cette langue dont il estimait particulièrement l’esprit. Quand le Congo démocratique actuel se nommait Zaïre, un agriculteur avait passé toute sa nuit à recopier un dictionnaire d’espéranto qu’un voyageur français lui avait prêté le soir avant de poursuivre son voyage le lendemain matin. Récemment, un courriel m’apprenait qu’à l’est du Congo Démocratique, près du Burundi, dans la région particulièrement éprouvée par les terribles conflits, un homme dispense des cours d’espéranto à 134 élèves. Pour cela, deux fois par semaine, avec une bicyclette que lui ont offerte des espérantistes de divers pays, il parcourt 34 kilomètres sur des voies peu praticables. A l’occasion de la Journée Internationale des Femmes, le 8 mars dernier, un correspondant pakistanais a fait publier la traduction en ourdou d’un communiqué de presse bilingue espéranto-français diffusé par le Service de Presse de SAT-Amikaro. Intitulé Femmes sans frontières, il apparaît en section Communiqués sur www.esperanto-sat.info.

Après la chute du shah, j’ai correspondu avec un sociologue, professeur à l’Université de Téhéran, qui a fortement contribué au renouveau de l’espéranto en Iran : une luxueuse édition des Ruba’iyyat d’Omar Khayyam en trente langues, dont l’espéranto, a été publiée en 1987 aux éditions Padideh, à Téhéran, avec deux préfaces dont la première est en espéranto. Grâce à lui, une partie importante d’un manuel des établissements d’enseignement secondaire était même consacrée à une présentation de l’espéranto. Même dans la période où une telle activité pouvait représenter une menace pour sa sécurité, et même pour sa vie, il a malgré tout persévéré à plaider et à agir pour cette langue.

Pensez-vous vraiment, Monsieur le Ministre, si vous savez réellement ce qu’est l’espéranto, que celui-ci n’inclut pas une « dimension d’ordre culturel » aussi intéressante et enrichissante que les autres langues régionales ou nationales dont « l’identité repose sur l’existence de supports littéraires, historiques ou géographiques » ? La dimension culturelle de l’espéranto est sans frontières, comme sa dimension géographique. Les supports littéraires, historiques ou géographiques existent bel et bien, même si vos prédécesseurs les ont ignorés jusqu’à ce jour. N’est-ce pas à un philosophe d’effacer cette tache d’ignorance ignorée et de honte ?

Le 23 juin 1972, alors qu’il était président du Conseil Général de la Corrèze, M. Jacques Chirac avait déjà fait voter un vœu en faveur de l’enseignement de l’espéranto à tous les niveaux. Aujourd’hui, il s’oppose avec courage et détermination au recours à la guerre comme solution des conflits internationaux. À un tel moment, votre attitude à l’encontre d’une langue dont l’esprit va précisément dans le sens de la démarche du chef de l’État apparaît dénuée de toute base sérieuse. Elle a quelque chose de profondément incohérent dont l’explication se trouve dans de sérieuses lacunes de vos connaissances dans un domaine défini, l’espéranto, ou au mieux une connaissance superficielle de cette langue sous tous ses aspects.

Une école de civisme planétaire

Nombreux sont en effet les discours et écrits du Dr Zamenhof invitant à la recherche de solutions par le droit et non par la force, condamnant la haine entre les races et les nations, et la guerre comme moyen de résoudre les désaccords.

En 1906, à Genève, il déclarait, à propos de pogroms qui venaient d’avoir lieu dans son pays :
« De toute évidence, la responsabilité en retombe sur ces abominables criminels qui, par les moyens les plus vils et les plus fourbes, par des calomnies et des mensonges massivement répandus, ont créé artificiellement une haine terrible entre les peuples. Mais les plus grands mensonges et calomnies pourraient-ils donner de tels fruits si les peuples se connaissaient bien les uns les autres, si entre eux ne se dressaient des murs épais et élevés qui les empêchent de communiquer librement et de voir que les membres des autres peuples sont des hommes tout à fait semblables à ceux de notre propre peuple, que leur littérature ne prêche pas de terribles crimes, mais la même éthique et les mêmes idéaux que la nôtre ?  ». (Originala Verkaro, Œuvres originales, L.L. Zamenhof, Leipzig, Ed. Ferdinand Hirt & Sohn, 1929, p. 370).

En 1907, au Guildhall, à Londres, il déclarait de même :
« Du fait que ces espérantistes, qui traitent l’espérantisme comme une idée, préconisent la justice et la fraternité entre les peuples, et du fait que, de la part des nationalistes chauvins, le patriotisme consiste à haïr tout ce qui n’est pas national, nous sommes à leur avis de mauvais patriotes et ils disent que les espérantistes n’aiment pas leur patrie. Nous protestons avec la plus grande énergie contre ce mensonge, contre cette culpabilisation vile et calomnieuse ! (...) Alors que le pseudo-patriotisme, c’est-à-dire le chauvinisme ethnique, fait partie de cette haine commune qui détruit tout dans le monde, le vrai patriotisme fait partie de ce grand amour universel qui construit, qui conserve et rend heureux. Que quelqu’un nous parle de toutes les formes d’amour, nous l’écouterons avec reconnaissance ; mais lorsque ce sont les chauvins qui nous parlent d’amour de la patrie, ces représentants d’une haine abominable, ces sombres démons qui incitent continuellement l’homme contre l’homme, non seulement entre les pays, mais aussi dans leur propre patrie, alors nous nous détournons d’eux avec la plus grande indignation. Vous, noirs semeurs de discorde, parlez seulement de haine contre ce qui n’est pas vôtre, parlez d’égoïsme, mais n’utilisez pas le mot « amour » car dans votre bouche, le mot sacré « amour » se souille. » (Originala Verkaro, p. 382-383).

On peut établir une comparaison avec Gandhi qui écrira plus tard :

« Pour moi, le patriotisme est la même chose que l’humanité. » (Ganesh).

« Je m’oppose à la violence parce que, lorsqu’elle semble produire le bien, le bien qui en résulte n’est que transitoire, tandis que le mal produit est permanent  » (Young India, 21 mai 1928).

En 1911, à Londres, à la suite de l’envoi, par le Dr Zamenhof, d’un mémoire intitulé Ethnies et Langue Internationale, le Congrès universel des races approuva une résolution en faveur de l’espéranto, exprimant le souhait que tous les participants « exigent de leurs gouvernements l’introduction de la langue internationale dans les programmes scolaires ». (Originala Verkaro, p. 345-353).

À Varsovie, en 1914, le Dr Zamenhof déclinait en ces termes une invitation à participer au premier congrès de la Ligue Mondiale des Espérantistes Juifs, congrès qui devait se tenir à Paris :

« Il est vrai que le nationalisme des peuples opprimés — en tant que réaction naturelle de défense — est bien plus pardonnable que celui des oppresseurs ; mais si le nationalisme des forts est ignoble, celui des faibles est imprudent. L’un engendre l’autre et le renforce, et tous deux finissent par créer un cercle vicieux de malheurs dont l’humanité ne sortira jamais, à moins que chacun de nous ne sacrifie son propre égoïsme de groupe et ne s’efforce de se placer sur un terrain tout à fait neutre ». (Originala Verkaro, p. 344-345).

Dans un Appel aux Diplomates, (Varsovie, 1915), bien avant que Robert Schuman n’eût établi les fondations de l’Europe, bien avant que Konrad Adenauer et Charles de Gaulle n’eussent scellé un nouveau destin pour la France et l’Allemagne, le Dr Zamenhof préconisait déjà un destin commun pour tous les pays européens, une sorte d’États-Unis d’Europe :

« La fraternisation entre hommes libres et égaux en droits est facile, mais lorsque les uns se comportent en dominateurs à l’égard des autres, tout cela est impossible. (...). Messieurs les diplomates ! Après l’effroyable guerre exterminatrice, qui abaisse l’humanité plus bas que les bêtes les plus sauvages, l’Europe attend de vous la Paix. Elle n’attend pas seulement une pacification, mais une paix permanente, la seule qui soit digne d’un genre humain civilisé. Mais souvenez-vous, souvenez-vous, souvenez-vous que le seul moyen d’atteindre une telle paix est d’éliminer pour toujours la cause des guerres, séquelle barbare du temps le plus lointain ayant précédé la civilisation : la domination de certains peuples sur d’autres peuples. » (Originala Verkaro, p. 356-357).

Le message de Zamenhof peut être compris par tous les peuples, par les croyants comme par les non-croyants, et il suscite le respect de ceux qui en prennent connaissance. Le grand réformateur social et philosophe indien Vinoba Bhave, disciple de Gandhi, voyait en Zamenhof un mahatma (une grande âme), terme utilisé pour désigner Gandhi ou des personnes ayant une stature morale comparable.

Bertrand Russel, le mathématicien et philosophe devenu athée, prix Nobel de littérature en 1950, qui devint président d’honneur de l’Union Mondiale des Libres Penseurs, exprima lui aussi son estime pour Zamenhof dans lequel il voyait « l’expression de ce que la judaïcité a apporté de plus noble au monde ».
Dès 1913, le Dr Zamenhof avait exposé, dans son traité intitulé Homaranismo, une éthique morale considérant l’homme comme un citoyen de l’humanité.

Par certains aspects de sa pensée, il s’inscrit dans cette lignée d’humanistes, de penseurs, de précurseurs, de visionnaires et de bienfaiteurs de l’humanité, tels que furent, par exemple,
 Érasme, l’auteur de L’Éloge de la folie (traduit et publié en espéranto).
 Jan Amos Komensky (Comenius), qui fut l’inspirateur d’une pédagogie d’avant-garde à laquelle notre société prête trop peu d’attention (bien qu’un programme européen ait emprunté son nom), et qui plaida pour une langue internationale qui préfigurait déjà l’espéranto.
 Janusz Korczak, grand pédagogue polonais, victime de la barbarie nazie.

Nous pourrions en ajouter beaucoup d’autres plus lointains tels que rabbi Hillel l’Ancien, ou au contraire plus proches tels que Gandhi.
En 1913, Zamenhof avait exprimé une pensée qui pouvait apparaître particulièrement audacieuse à cette époque et qui ne laissait guère de place à l’hypocrisie :
« Je ne vois en tout homme qu’un homme et je n’apprécie chaque homme que par sa valeur personnelle et ses actes. Je considère comme barbare toute offense ou pression à l’égard d’un homme parce qu’il appartient à un peuple, à une langue ou à une classe sociale autres que les miens  ». (Originala Verkaro, p. 340) .

« Si je ne crois à aucune des religions révélées existantes, je ne dois pas rester dans l’une d’elles seulement pour des raisons ethniques et induire les gens en erreur sur mes convictions par ma présence, ni alimenter la division interethnique par des générations sans fin, mais je dois ouvertement et officiellement — si les lois de mon pays le permettent — me nommer “libre croyant”, n’identifiant cependant pas nécessairement la libre croyance avec l’athéisme, mais me réservant une totale liberté de croyance. » (Originala Verkaro, p. 343).

Gandhi avait exprimé une pensée du même ordre dans Young India (21 juillet 1920) :
« Je rejette toute doctrine religieuse qui ne fait pas appel à la raison et qui se trouve en conflit avec la moralité ».

N’y avait-il pas un antidote à la violence et au fanatisme dans un enseignement qui avait pour but, « sans éloigner l’homme de sa patrie naturelle, ni de sa langue, ni de sa religion, d’éviter tout reniement et toute contradiction dans ses principes nationaux ou religieux et de communiquer avec des hommes de toutes les langues et de toutes les religions sur une base neutre, selon des principes de fraternité, d’égalité et de justice réciproques » ? (Originala Verkaro, p . 324).

Il est évident que l’idée d’un tel enseignement, à l’opposé des thèses qui ont mené le XX e siècle aux pires abominations, était en avance sur son époque et que le contexte politique et international se prêtait plus à un rejet qu’à un examen attentif.
Comment peut-on laisser supposer que l’espéranto n’a pas de liens avec l’histoire de tel ou tel pays ? Il a été parfois le baromètre de la démocratie. Quand un régime étouffe cette langue et jette le discrédit à son encontre, c’est parce que le climat politique et social est malsain.

La pensée exprimée par le Dr Zamenhof en 1913 ne va-t-elle pas justement dans le sens des principes évoqués ce 20 mars 2003, lorsque les États-Unis ont lancé leur attaque contre l’Irak, par le chef de l’État à propos de la solution des conflits : «  primauté du droit, équité, dialogue entre les peuples et respect des autres » ?
Il semble utile de rappeler que l’UNESCO a célébré le Dr Zamenhof en 1960 en tant que « personnalité importante universellement reconnue dans les domaines de l’éducation, de la science et de la culture » et a voté deux recommandations en faveur de l’enseignement de l’espéranto (en 1954 et en 1985).

Monsieur le Ministre,

La communauté espérantophone a des références précises et vérifiables. Quelles sont les vôtres ? Si vous avez des preuves qui justifient votre attitude, êtes-vous en mesure de les montrer, de les expliquer ?
Les arguments opposés à l’introduction de l’espéranto dans l’enseignement ont toujours été d’une pauvreté effarante. Après examen de la question de l’espéranto, est-il exclu que le ministre de l’Éducation que vous êtes, sinon le philosophe, en vienne à la même conclusion que le professeur Robert Phillipson, auteur d’un ouvrage récent intitulé English-Only Europe ? (Routledge, Londres, Janvier 2003) : « Le cynisme à propos de l’espéranto a fait partie de notre éducation » ?

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma considération distinguée.

Henri MASSON,
Secrétaire Général de SAT-Amikaro,
Président d’Espéranto-Vendée,
http://www.esperanto-sat.info


Rappel — Liens à :
Culture et Espéranto : <http://www.lve-esperanto.com/bibliotheque/>
Femmes sans frontières : <http://www.esperanto-sat.info>

Annexe pédagogique.

Enseignement d’orientation linguistique

Humankybernetik, revue internationale pour l’application des modèles et de la mathématique en sciences humaines, a publié, dans son numéro de mars 1998, le résultat d’une expérience d’enseignement d’orientation linguistique, financée par le ministère des Sciences de Slovénie, qui s’est déroulée entre 1993 et 1995 sur la base du modèle élaboré par l’Institut de Cybernétique de Paderborn.

Le but était de démontrer que des élèves qui abordent l’apprentissage des langues étrangères par la Langue Internationale espéranto apprennent ensuite beaucoup plus rapidement l’anglais et l’allemand.
Afin de prouver que cette thèse était valable aussi pour d’autres pays, et de mesurer le gain de temps ainsi réalisé, il a été nécessaire de mener l’expérience avec des classes où n’était appris que l’anglais, d’autres où n’était appris que l’allemand, et d’autres enfin où un enseignement de 70 heures de l’espéranto précédait celui de l’anglais ou de l’allemand.
Ceci dans des écoles d’au moins trois pays de langues différentes :
Autriche (Hauptschule II, Deutschlandsberg),
Croatie (école Alojzije Stepinac, Zagreb),
Slovénie (école Prejihov Voranc, Maribor, école élémentaire de Radlje ob Gravi).
Trois tests réalisés à trois périodes différentes dans ces quatre écoles ont porté :

 sur 33 élèves qui ont appris l’espéranto, puis l’anglais, et 32 qui n’ont appris que l’anglais,

 sur 7 élèves qui ont appris l’espéranto, puis l’allemand, et 7 qui n’ont appris que l’allemand, soit au total 40 élèves qui ont appris l’espéranto et 39 qui ne l’ont pas appris.
Par rapport aux élèves qui, en deux années d’étude, n’avaient pas appris l’espéranto, il apparaît que le gain de temps de ceux qui l’avaient appris en premier durant 70 heures était respectivement de 25 à 30% pour l’anglais et l’allemand, c’est-à-dire que leur connaissance était supérieure de 50 à 60%.

Comme la langue étrangère était apprise à raison de 3 heures par semaine, donc 120 heures dans l’année ou 240 heures en deux années, le gain de temps était de plus de 120 heures. Par conséquent, les 70 heures investies dans la Langue Internationale sont déjà compensées, en moins de deux années d’apprentissage de la langue étrangère.

Remarque.

La première expérience de ce genre a été menée de 1922 à 1924 en Angleterre à l’école Green Lane d’Auckland, où 76 élèves avaient appris l’espéranto, et 76 autres le français. L’année suivante, le français fut enseigné à ceux qui avaient appris l’espéranto. À la fin de la seconde année scolaire, les élèves qui avaient commencé par l’espéranto étaient très supérieurs à ceux qui, durant deux années, n’avaient appris que le français.

A. Parkinson, inspecteur royal des écoles (Oxon), reconnut les bienfaits de cet enseignement préparatoire : « L’expérience de l’école Green Lane a abouti d’une façon indubitable à un succès évident. Au début de l’expérience, je n’avais aucune connaissance pratique de l’espéranto, bien que j’en eusse entendu parler. J’ai été tellement stupéfait des progrès faits par les enfants que je me suis décidé à l’apprendre pour mieux juger de leur travail. En étudiant moi-même la langue, j’eus encore l’occasion de constater sa grande valeur pédagogique et éducative. »