Le phénomène Ferrari

Publié le dimanche 14 avril 2002 par admin_sat , mis a jour le vendredi 8 décembre 2006

Sur le web, avec un moteur de recherches, le mot clé "Ferrari" conduit à trois types de sites.
Le premier est celui de la très célèbre firme automobile de Turin, la marque des records mondiaux.

Le second concerne l’actrice Lolo Ferrari. Elle en avait gros sur le coeur : une taille 130 H obtenue par 18 opérations. A son goût, c’était encore riquiqui, peu assorti à son prénom : elle ambitionnait le l40 G.

Le troisième présente un phénomène qui n’avait rien pour susciter le trouble et l’émoi. Là, ça se passait au-dessus du cou. C’est plutôt sa tête qui aurait eu besoin d’un soutien. Son record fut celui de la fantaisie, de l’originalité, de l’extravagance. Sa vie commença vers 1900. Il y mit un point final en 1957.

Immigré italien, Emilo Ferrari se faisait prénommer "Napoleono". Il exerça les professions de chauffeur de taxis de luxe près de l’Opéra (il était fier d’avoir transporté Édouard Herriot et que celui-ci l’ait complimenté pour l’espéranto), et de garçon de café-bar ("Imperator", rue Beaubourg, et "Talma", passage Choiseul). Enfin, il tint un petit salon de coiffure pour hommes au n° 20 de la rue de Savoie, proche de la place St Michel.

Notre phénomène fut, à sa façon, un "fou de l’espéranto". Oh, certes, rien à voir avec les "fous de Dieu" qui égorgent en Algérie, mais bel et bien "rasoir", bien que n’appréciant guère d’en faire usage. Pour lui, un homme devait être capable de se raser tout seul. Il estimait que cinq clients dans la journée lui permettaient de vivre. Une simple coupe de cheveux pouvait demander 1h 45mn et la note était en conséquence. Et pour honorer sa clientèle, il jouait de la trompette et du piano — pas très bien, paraît-il —, mais pas en même temps, bien sûr, quoi que ce n’est peut-être pas infaisable !

Ferrari pouvait fort bien abandonner la coupe de cheveux d’un client non espérantiste lorsqu’arrivait un "samideano" (personne partageant la même idée). C’est à lui, notre Ferrari à nous, que l’on doit le verbe "krokodili", l’un des rares idiotismes de l’espéranto, c’est-à-dire des tournures ou expressions propres à une langue et qui n’ont aucun sens dans une autre lorsqu’elles sont traduites littéralement. Il signifie parler en langue nationale dans un milieu où l’on s’exprime en espéranto. Ainsi, en français, ça donnerait "crocodiler". Agacés par les plus âgés d’entre eux qui parlaient dans leur langue plutôt qu’en espéranto dans des réunions, les jeunes espérantistes s’en emparèrent pour désigner ce comportement. Et le mot entra dans la langue.

La propagande de Ferrari attira peut-être des personnes à l’espéranto, mais il est certain qu’à l’inverse, beaucoup furent vaccinées à vie contre cette langue pourtant destinée à faciliter le dialogue.
A chacun ses arguments : Lolo avait les siens...

Voilà qui pourrait amuser notre chère voisine — et sa clientèle —, qui tient un salon de coiffure féminine à côté de notre siège, boulevard Vincent Auriol.
À noter que Vincent Auriol, président de la république de 1947 à 1954, fut signataire d’une pétition en faveur de l’espéranto et de son enseignement remise à l’Onu, à Lake Success, le 2 août 1950.

Là, c’est déjà plus sérieux, et notre futur président devrait en prendre de la graine...
Henri Masson