Un peu plus sur Maxime Rodinson

Publié le lundi 19 septembre 2005 par admin_sat

Un message anonyme, enregistré sur répondeur téléphonique le 16 juillet, donne l’occasion d’en écrire encore plus sur Maxime Rodinson :
J’aurais voulu savoir si l’espéranto est un moyen pour faire de la propagande, est un moyen de propagande anti-israélienne, anti-sémite ; c’est une question que je voudrais poser à M. Masson parce que je commence à en avoir marre de cet article qu’il a écrit sur Maxime Robinson” [1] [sic !] , hein ! hein ! Parce que je pense que si Zamenhof était aujourd’hui vivant, il irait s’enterrer, hein !, vivant !

Tel quel ! L’article incriminé par cet anonyme ne fait nullement l’apologie de la pensée de Maxime Rodinson1. La plus efficace des propagandes “anti” est le fait de “pro”, de fanatiques très minoritaires de telle ou telle doctrine philosophique, religieuse ou politique. Cet appel démontre finalement l’intérêt du personnage Rodinson.

D’origine juive, Maxime Rodinson, dont les parents sont morts à Auschwitz, a le mérite de ne pas s’être fié à des vérités prétendument éternelles, de faire en quelque sorte, à sa façon, une “éloge de la folie”. Prix 1995 de l’Union Rationaliste, cet esprit libre a eu le courage de faire ce qu’Érasme a fait à une autre époque. L’espéranto est honoré par le fait qu’il a été la première langue étrangère et un stimulant intellectuel pour cet érudit qui parlait une trentaine de langues. Dans un entretien avec Jean Daniel, publié dans “Le Nouvel Observateur [2], Maxime Rodinson avait dit : “ Pour ce qui est de mon “antisionisme”, vous savez aussi bien que moi comment les ultrasionistes savent fabriquer des réputations. Vous avez vous-même connu cela. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls : tous les intégristes et tous les fanatiques font la même chose, dans les deux camps ”.

Zamenhof — un homme libre

L’auteur anonyme du message en question connaît visiblement très mal le Dr Zamenhof. Particulièrement sensible aux malheurs du peuple juif, auquel il appartenait, Zamenhof a milité pour le sionisme durant ses études de médecine. Il se distança vite de cette démarche pour se consacrer à l’espéranto afin de contribuer à démolir le mur des langues tout en se préoccupant aussi du mur des religions.

Il s’était senti en plein harmonie de pensée avec le prophète Hillel l’Ancien qui, bien avant l’avènement du christianisme, professait un enseignement, des valeurs et des principes que les religions monothéistes ont oublié. Ses essais sur l’“Hilelismo” puis l’“Homaranismo” (1906) allaient dans ce sens.

Il est intéressant de savoir que Zamenhof avait rédigé une grammaire de yiddish dont le manuscrit, non publié, se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque de l’Université de Jérusalem. Bertrand Russell avait vu en lui “l’expression de ce que le monde juif a donné de plus noble au monde ”.

Zamenhof ne serait nullement enclin à s’enterrer vivant. Sollicité en 1914 pour prendre part, à Paris, au premier congrès de la Ligue Mondiale des Espérantistes Juifs, il déclina l’invitation en ces termes : “ Je ne peux malheureusement pas vous donner mon adhésion. Suivant mes convictions, je suis homarano [3] et ne peux adhérer aux objectifs et aux idéaux de quelque groupe ou religion que ce soit… Je suis profondément convaincu que tout nationalisme ne peut apporter à l’humanité que de plus grands malheurs et que le but de tous les hommes devrait être de créer une humanité fraternelle. Il est vrai que le nationalisme des peuples opprimés – en tant que réaction naturelle de défense – est bien plus pardonnable que celui des oppresseurs ; mais si le nationalisme des forts est ignoble, celui des faibles est imprudent … L’un engendre l’autre et le renforce, et tous deux finissent par créer un cercle vicieux de malheurs dont l’humanité ne sortira jamais à moins que chacun de nous ne sacrifie son propre égoïsme de groupe et ne s’efforce de se placer sur un terrain tout à fait neutre… C’est pourquoi – bien que je sois déchiré par les souffrances de mon peuple – je ne souhaite pas avoir de rapports avec le nationalisme juif et désire n’œuvrer qu’en faveur d’une justice absolue entre les êtres humains. Je suis profondément convaincu que, ce faisant, je contribuerai bien mieux au bonheur de mon peuple que par une activité nationaliste… ” .

Rodinson et l’espéranto

Dans le numéro déjà mentionné du “Nouvel Observateur”, Maxime Rodinson avait donné quelques explications sur l’attirance qu’il avait ressentie pour l’espéranto : JD : Quelle a été votre langue maternelle ? MR : Le français. En famille, mes parents parlaient yiddish entre eux, mais ils parlaient français aussi. Et ils ne nous ont jamais appris leur langue, ni à ma soeur ni à moi. En revanche, j’ai appris l’espéranto très jeune. A l’époque, c’était à la mode. J’ai étudié la chose parce qu’en URSS il y a eu une période d’engouement pour l’espéranto. Après, Staline a mis bon ordre à cela. C’était trop « internationaliste » pour lui. JD : Vous parlez l’espéranto ? MR : Je suis capable de le lire et de l’écrire moyennant l’usage, quelquefois, d’un petit dictionnaire. C’est vraiment facile. Zamenhof était un génie.

Henri Masson

Quelques ouvrages de Maxime Rodinson

 Souvenirs d’un marginal. Editions Fayard ; essai. 05/2005
 La fascination de l’Islam — Suivi de Le seigneur bourguignon et l’esclave sarrasin. La Découverte— poche ; étude.11/2003
 Les Arabes. Nouvelle édition. PUF ; étude.11/2002
 De Pythagore à Lénine — des activismes idéologiques. Pocket ; essai. 09/2000
 Les Assassins — Terrorisme et politique dans l’Islam médiéval. Bernard Lewis, Maxime Rodinson, Annick Pélissier. Complexe. Eds ; essai. 08/2000.
 Mahomet. Seuil. 03/1999
 Entre Islam et Occident. Belles Lettres. 02/1998.
 Le Coran. Maxime Rodinson. Kazimirski Biberstein. Garnier Frères. 03/1996
 Peuple juif ou problème juif. La Découverte — poche ; essai. 04/1997
 De Pythagore à Lénine. Fayard. 03/1993
 L’islam — politique et croyance. Fayard. 03/1993
 Les Arabes. PUF. 06/1991
 Islam et capitalisme. Seuil. 03/1966