La Cacophonie du Vieux Monde

Publié le dimanche 11 novembre 2001 par admin_sat , mis a jour le dimanche 8 août 2004

Le beau principe d’égalité des langues sur lequel le Marché Commun, devenu l’Union européenne, a édifié son système de communication linguistique, va voler en éclats.

Avec 11 langues officielles pour 15 États membres, la situation est déjà problématique et préoccupante : pertes de temps, retards, limitation des possibilités de dialogue direct en dehors des débats, incommodités, et tout ceci à grands frais puisqu’un tiers du budget de fonctionnement des institutions européennes est englouti pour couvrir les coûts linguistiques. L’admission de nouveaux adhérents rendra ce système ingérable. Sans appareillage coûteux ni écouteurs, donc sans prothèses linguistiques, nos élus seraient comme une assemblée de sourds-muets sans langage des signes. Il est de plus en plus question de n’avoir que trois ou quatre langues de travail, ce qui contraindra la majorité des États membres de moindre poids économique et démographique à faire l’effort, sans réciprocité, de parler celles des "grands". Celui qui se trouve tout en haut de cette hiérarchie des langues se sent dispensé d’apprendre celles des autres et disposé à imposer la sienne pour coloniser les esprits.

Est-ce notre futur portrait ?

"Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue maternelle est l’humiliée, l’écrasée. Et ce mépris, objectivement fondé, il finit par le faire sien. De lui-même, il se met à écarter cette langue infirme, à la cacher aux yeux des étrangers, à ne paraître à l’aise que dans la langue du colonisateur. En bref, le bilinguisme colonial n’est ni une diglossie, où coexistent un idiome populaire et une langue de puriste, appartenant tous les deux au même univers affectif, ni une simple richesse polyglotte, qui bénéficie d’un clavier supplémentaire mais relativement neutre ; c’est un drame linguistique." Parus dans "Portrait du colonisé" [1], ces propos sont d’Albert Memmi qui ajoute :"Si le bilingue colonial a l’avantage de connaître deux langues, il n’en maîtrise totalement aucune. (...) Muni de sa seule langue, le colonisé est un étranger dans son propre pays".
Des décisionnaires commencent à se rendre compte des perversions et dérives d’un système qui apparaissait au départ si respectueux du principe d’égalité. Ils prennent conscience de la nécessité évidente d’une véritable langue internationale et non d’une langue nationale travestie pour jouer ce rôle. Des firmes et des organisations internationales font de plus en plus appel à des natifs anglophones plutôt qu’à des personnes qui ont appris l’anglais comme langue étrangère.

Tous les pays non anglophones amputent leur budget de l’éducation pour se mettre finalement en position de vassalisation face à la Grande-Bretagne et aux États-Unis qui, pendant ce temps (qui est aussi de l’argent), contemplent la courbe des profits que leur apportent l’enseignement de l’anglais et les séjours linguistiques : mieux que le pétrole !

Dialogue ? Où est l’outil ?

Coordinateur pour les relations franco-allemandes auprès du gouvernement allemand, Rudolf von Thadden semble avoir perçu la nécessité du dialogue à la base mais pas celle de l’instrument sans lequel il est impossible : "nos deux peuples ont de mauvaises habitudes : leurs relations passent trop par le dialogue entre les gouvernements, pas assez par le dialogue entre les sociétés civiles. Les peuples sont pourtant bien meilleurs que les classes politiques". [2]
Alors que, pour les Chinois, et d’une manière générale pour tous les peuples, l’espéranto constitue le meilleur tremplin pour découvrir et apprendre le français voire le faire aimer, Lionel Jospin n’avait rien trouvé de mieux, en 1998, à Hong Kong, que de faire passer l’espéranto pour une affaire oubliée tout en reconnaissant la nécessité "d’une langue pour la communication universelle". Ce problème sera-t-il pris en considération lors des présidentielles de 2002 ? Jean-Pierre Chevènement semble en avoir conscience : "prétendre créer dès aujourd’hui un État fédéral avec de si profondes différences de traditions sociales et culturelles, sans repères communs, sans qu’un débat politique ait fait surgir un projet politique commun, et a fortiori sans langue commune, me parait pour le moment irréaliste, au mieux naïf, au pire mensonger et tout bonnement attentatoire à la démocratie et à l’indépendance des peuples". [3]

Utopie ?

"Les utopies ne sont souvent que des vérités prématurées", écrivait Lamartine...
Il est parfois reproché aux espérantophones de ne pas intervenir auprès des autorités et des institutions aux niveaux national, européen (U.E., Conseil de l’Europe...), mondial (Onu et ses agences...). Mais il y déjà fort longtemps que de telles démarches sont entreprises, et elles n’ont jamais cessé.
Dès 1920, onze pays, dont huit non européens, étaient intervenus en ce sens auprès de la Société des Nations. Le gouvernement français d’alors fut de ceux qui s’opposèrent le plus farouchement à l’espéranto. Comme toutes les langues du monde, le français est aujourd’hui malmené par une langue qui, elle, n’est pas neutre. Des personnes massacrent deux langues : la leur et l’anglais, pendant que les moyens manquent pour lutter contre l’analphabétisme et la dyslexie..
Le 2 août 1950, la plus importante pétition jamais rassemblée jusqu’alors fut remise à l’Onu. Elle réunissait 16.350.212 signatures, dont 895.432 individuelles, parmi lesquelles celle de Vincent Auriol, président de la république française. Les signataires estimaient, déjà, que le problème de langue internationale devait être considéré par les Nations Unies comme "une affaire sérieuse et urgente". Ils soulignaient la nécessité d’une langue mondiale, "qui aura pour rôle de seconder les langues nationales et non de les remplacer, pour faciliter les relations entre les peuples et hâter le progrès social".

La pétition passa aux oubliettes. Elle contribua néanmoins à crédibiliser la démarche qui, en 1954, aboutit à une recommandation de l’Unesco en faveur de l’espéranto lors de sa Conférence Générale de Montevideo.

En 1955, quatorze délégués de divers pays soumirent une proposition de résolution à l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe demandant une expérience d’enseignement officiel de l’espéranto justifiée dans ces termes : "les difficultés linguistiques constituent un obstacle à la compréhension réciproque des peuples européens et au développement de la solidarité européenne" en ajoutant que "la langue internationale espéranto, en raison de sa facilité et de sa neutralité politique, pourrait être une solution acceptable pour atténuer en Europe l’obstacle des langues"...