BellaCiao - 02 mars 2011 - L’espéranto, quézako ?

BellaCiao publie le 2 mars un article intitulé L’espéranto, quézako ?.

L’espéranto, quézako ?

Il y a 124 ans que le génie Louis Lazare Zamenhof a trouvé la solution pour permettre la communication entre les peuples au moyen d’une langue vivante, remarquablement facile en comparaison de toutes celles nationales et régionales.

Cette facilité vient du fait que l’Esperanto fonctionne selon le principe de l’assimilation généralisatrice : Un enfant de 5 ans a entendu les mots fermier, poissonnier, serrurier.

A partir de là, il fabrique d’instinct chaussurier, fleurier, ordurier. Mais il devra apprendre que tout cela, pour logique que ce soit, ne se dit pas ; il faut dire cordonnier, fleuriste, éboueur. De même l’enfant qui a entendu unijambiste dira unibraïste. On peut observer ce phénomène dans toutes les langues. L’enfant anglais qui a repéré la terminaison -ed du prétérit dit he knowed « il a su » au lieu de he knew. L’esprit humain a donc tendance à assimiler un élément fréquemment employé, puis à le généraliser. Or l’occidental n’en est pas conscient, mais sa pensée est enfermée dans un corset : il n’a aucune possibilité de créer des notions en créant des mots. On peut dire ineffable et invincible mais pas effable ni vincible. On dit : vous dites (et non vous disez) mais vous contredisez (et non vous contredites).

Toutes ces irrégularités, toutes ces difficultés, rétorquera t’on, sont justement ce qui fait l’identité de la langue, c’est ce qui fait son charme, sa richesse. C’est tout à fait vrai. Mais tout cela empêche la langue en question de prétendre au rôle de langue internationale. Car ces difficultés ne sont nullement un obstacle à la littérature ni à la communication entre autochtones.

En revanche elles sont un obstacle colossal à une communication efficace et rapide sur un plan international.

En Esperanto, il en est tout autrement que dans les langues nationales : la cohérence est absolue. Celui qui a entendu okulisto « oculiste » n’a plus qu à généraliser le suffixe -isto et passer à farmisto « fermier », historiisto « historien », intruisto « enseignant », libristo « libraire », plugisto laboureur ". Ces mots sont construits sur farmo « ferme », historio « histoire », instrui « enseigner », libro « livre », plugi « labourer ». Si on compare maintenant lernejo « école » avec ĉevalejo « écurie » , kuirejo « cuisine », on comprendra que le suffixe -ejo désigne toujours et uniquement le lieu en rapport avec l’objet ou l’action désignés par la racine. On construira alors laborejo « atelier », ŝafejo « bergerie », vendejo « magasin de vente » à partir de labori « travailler », ŝafo « mouton », vendi « vendre ».

Cela n’a rien d’artificiel : le turc, le hongrois, le basque, le chinois, le japonais fonctionnent de la même façon. Ces langues sont classées par les linguistes dans la catégorie des langues agglutinantes. En effet, Zamenhof, tout en tirant le lexique de l’Esperanto des langues indo-européennes, lui donna une structure interne le rapprochant énormément des langues agglutinantes.

Un étranger qui dirait « vous musiquez bellement » ne ferait qu’appliquer les structures françaises qu’il a assimilées. Il se rendrait pourtant ridicule, ce qui fausse la relation humaine : ce n’est pas ainsi qu’on s’exprime normalement en français.

En Esperanto, il a le droit de dire : Vi muzikas bele. La liberté de faire du concept musique soit un nom (muziko « la musique »), soit un adjectif (muzika « musicale ») soit un verbe (muziki « faire de la musique, musiquer », résulte de la précision des terminaisons ; -as indique toujours exclusivement un indicatif présent, -i un infinitif verbal, -o un substantif . La terminaison –e a la même rigueur : elle donne à la racine un sens adverbial, tout comme –a lui donne un sens adjectival.

Comme pour le hongrois, le persan, le mongol, le basque, l’Esperanto ignore la notion de genre grammatical, ce qui ne le rend pas pour autant moins précis que le français dans lequel l’étranger qui l’étudie y rencontre une réelle difficulté.

L’Esperanto a une conjugaison fort simple : six terminaisons verbales suffisent pour rendre toutes les nuances de la pensée. Comme le finnois le hongrois, le swahili, l’indonésien, l’Esperanto s’écrit comme il se prononce, il n’y a pas de lettres muettes, et donc logiquement pas de fautes d’orthographe à craindre. Comme le chinois, l’Esperanto ignore tout des irrégularités qui rendent nos langues européennes si difficiles.

Le vocabulaire esperanto est une synthèse de celui des langues indo-européennes. Les racines latines y sont majoritaires car les plus répandues et le plus aisément assimilable pour de simples raisons phonétiques : il est plus facile d’adapter le latin DOMUS « maison » pour aboutir à domo que partir de l’anglais house ou de l’allemand haus . De plus, afin de posséder un lexique très complet tout en soulageant la mémoire, l’Esperanto ne fait rien d’autre que généraliser et régulariser ce qui existe dans toutes les langues.

En français, à partir de dent, garage, pompe, nous faisons dentiste, garagiste, pompiste, pour obtenir les noms de profession. L’Esperanto agit de même, mais en donnant à chaque préfixe ou suffixe un sens unique et précis, toujours le même. C’est ainsi qu’on obtient dentisto, garaĝisto, pumpisto, mais aussi botisto « botier », gvidisto « guide », ĝardenisto « jardinier », komercisto « commerçant », kultivisto « cultivateur », maristo « marin », panisto « boulanger ».

Un autre facteur de richesse est la facilité avec laquelle l’Esperanto forme des mots composés : dormoĉambro « chambre à coucher », dentdoloro « mal aux dents », fiŝvendejo « poissonnerie » mondmilito « guerre mondiale » poŝtmarko « timbre poste ».

La fécondité de la combinatoire illimitée de l’Esperanto est si vaste qu’on peut déjà exprimer une infinité d’idées à l’aide de quelques centaines de radicaux.

Apprendre le vocabulaire de l’Esperanto, c’est donc apprendre 12 ou 15 fois moins de mots que dans tout autre langue, et d’en avoir autant sinon plus à sa disposition.

Il y a en Esperanto des mots qu’un esperantophone comprend immédiatement, et qui n’ont pourtant pas d’équivalent en français : fotema « enclin à photographier », gesolaj « seuls à deux de sexe différent », kisinda « qui mérite d’être embrassé(e) », samideano « partisan de la même idée » etc.

Le style d’un récit, d’un rapport officiel, d’une conversation familière diffère en Esperanto comme dans n’importe quelle autre langue. Nul ne dira qu’un francophone sent une énorme différence entre les assertions : j’ai eu des relations sexuelles avec elle ; nous avons fait l’amour ensemble ; je l’ai baisée. L’Esperanto distingue de la même façon : mi seksumis kun ŝi ; ni amoris kune ; mi fikis ŝin. L’acte est le même, direz-vous. Oui, mais tout tient, en Esperanto comme en français dans la façon de le dire.

L’Esperanto n’appartenant à aucune nation en particulier, est donc à la disposition de tout individu désireux d’établir directement une communication égalitaire au niveau international.

Outil de paix dès sa conception, la langue internationale et sa propagation dans le monde représentent un danger pour les Etats guerriers et leurs armées.

En effet, on peut raisonnablement penser que les fabricants d’armes et leurs bénéficiaires auront de plus en plus de mal à recruter un personnel, dans un monde acquis au rapprochement entre les peuples.

L’Unesco a émis deux recommandations en faveur de l’Esperanto en 1954 et 1985, pour ses résultats obtenus sur le plan des échanges intellectuels internationaux, et de compréhension mutuelle entre les peuples. En 1924, quarante-deux savants de l’académie des sciences émettaient le vœu que « l’enseignement de cette langue, chef-d’œuvre de logique et de simplicité, soit introduit au moins à titre facultatif, dans les programmes officiels des classes de sciences ».

Plusieurs académies scientifiques ont choisi l’Esperanto comme langue de travail.
L’académie internationale des sciences de San Marin (Italie)
L’académie internationale des sciences Comenuis d’Uppsala (Suède)
L’académie des sciences de Chine a une section technique d’Esperanto.
Entre 1903 et 1994, vingt-six prix Nobel ont manifesté leur soutien à l’Esperanto. Parmi eux, sept le pratiquaient.

L’Esperanto doit constituer une alternative à l’anglo-américain, langue nationale et pourtant toujours plus imposée dans le rôle de langue internationale.

« Le succès actuel de l’anglais, écrit Umberto Eco, est né de l’addition de l’expansion coloniale et commerciale de l’empire britannique, et de l’hégémonie du modèle technologique des Etats-Unis ». C’est la langue de la puissance qui marche à pas de géant sur le chemin de la colonisation de la planète. Colonisation faite en douceur, sans intervention militaire, mais colonisation quand même. On lui a donné un nom : mondialisation.

Depuis leur victoire en 1945, les Etats-Unis visent à l’empire universel, et ils réalisent leur objectif un peu plus chaque jour, grâce aux laquais qui à divers postes ministériels ou présidentiels n’ont pratiquement pas d’autre rôle que de leur lécher les bottes et prévenir tous leurs désirs.

La situation ne date pas d’hier. Déjà en 1961 une conférence anglo-étasuniènne préparait déjà un remodelage des structures mentales par le moyen d’une langue unique.

Le confidentiel Anglo American Conference Report décidait alors que « L’anglais doit devenir la langue dominante » afin d’imposer « une autre vision du monde » « la langue maternelle sera étudiée la première chronologiquement, mais ensuite l’anglais, par la vertu de son usage et de ses fonctions, deviendra la langue primordiale »

La marche à la conquête du monde a commencé bien après l’époque de Roosevelt ; ce sont les responsables états-uniens eux-mêmes qui le disent. Le ton a été donné par l’International Herald Tribune, qui claironne triomphalement : « l’emploi de l’anglais accroît l’influence politique des pays anglophones beaucoup plus puissamment qu’une forte économie ou une grande puissance de feu » (7 juillet 1992)

Madeleine Albright, secrétaire d’Etat de Bill Clinton avoue : « l’un des objectifs majeurs de notre gouvernement est de s’assurer que les intérêts économiques des Etats-Unis pourront être étendus à l’échelle planétaire » (A gauche 20 février 1997)

Cette même année 1997, un rapport de la CIA laissait 5 ans aux Etats-Unis pour imposer leur langue « comme seul idiome international ». « Sinon, précisait-il, les réactions qui se développent dans le monde rendront l’affaire impossible » (relevé par Hervé Lavenir de Buffon)

David Rothkopf, directeur général du cabinet de consultants Kissinger Associates : « Il y va de l’intérêt économique et politique des Etats-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais ; que, s’il s’oriente vers des normes communes en matière de communications, de sécurité et de qualité, ses normes soient américaines ; que si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains ; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les américains se reconnaissent » (Le Monde diplomatique, août 1998).

Un sénateur états-unien dit les choses plus crûment : « Il y a 6000 langues parlées dans le monde, c’est 5999 de trop, l’anglais suffira. (Figaro magazine, 22 juin 2002).

La Grande-Bretagne fait chorus : le directeur du British Council déclare : « le véritable or noir de la Grande-Bretagne n’est pas le pétrole de la mer du Nord, mais la langue anglaise. Le défi que nous affrontons est de l’exploiter à fond » (Rapport annuel 1987-1988).

Le projet English 2000, lancé en 1995, veut « exploiter le rôle de l’anglais pour faire avancer les intérêts britanniques en tant qu’étape de la tâche consistant à perpétuer et étendre le rôle de l’anglais comme langue mondiale au siècle prochain ».

Ce sont les voix les plus autorisées des Etats-Unis et du Royaume-Uni qui l’avouent : ces deux Etats imposent leur langue au monde entier pour le soumettre. Il s’agit d’une manipulation mentale intentionnelle, par la destruction des langues.

En France, cette soumission au capitalisme anglo-saxon est toujours bien présente chez les politiciens.

C’est ainsi qu’un ministre prénommé Claude affirmait allègrement sur les ondes, en août 1997, qu’« il ne faut pas compter l’anglais comme langue étrangère en France ». La même chose dite moins hypocritement : « l’anglais doit devenir la langue de la France ». Mais dans le même temps, aucun ministre en Grande-Bretagne n’a déclaré que le Français n’est pas une langue étrangère en Angleterre : il y a bien colonisation et non échange.

Face à cette œuvre de destruction culturelle à grande échelle, une comparaison des systèmes possibles à utiliser lors des réunions internationales s’avère indispensable.

Ils sont au nombre de quatre :

1.Utilisation de toutes les langues des participants, en recourant à la traduction et à l’interprétation. Cette solution est celle de l’Union européenne, où toutes les langues sont langues de travail. Elle coûte une fortune aux contribuables de ces pays, pour un résultat au dessous du médiocre. Et les problèmes vont sans cesse s’aggravant avec l’accession de nouveaux Etats. Selon le tout récent rapport Grin, sur l’enseignement des langues étrangères comme politique publique, l’Union européenne économiserait vingt-six milliards d’euros par an, en adoptant l’Esperanto.

2.Utilisation d’un nombre limité de langues, également en recourant à la traduction et à l’interprétation. Cette solution est celle de nombreuses organisations, entre autres de l’ONU qui a six langues de travail (anglais, français, espagnol, russe, chinois, arabe). Elle coûte également une fortune pour un résultat médiocre, et elle est résolument antidémocratique.

3.Utilisation d’une seule langue, en général l’anglais, sans recourir à la traduction. Cette solution est celle des multinationales. Elle assure la domination sans partage d’une puissance unique. C’est la moins démocratique qu’on puisse imaginer. Toujours d’après le rapport Grin, c’est treize milliards d’euros que l’enseignement de l’anglais rapporte annuellement à la Grande-Bretagne.

4.Utilisation d’une langue neutre, l’Esperanto. Cette solution est la seule qui respecte l’idéal démocratique, tout en permettant une efficacité totale, pour un coût pratiquement nul.

Cette dernière solution qui semble pourtant évidente aujourd’hui, et qui fut déjà adoptée lors du congrès de la CGT en1906 avec la Charte d’Amiens, peut représenter un atout formidable pour notre combat, de transformation sociale, international.

Comme pour l’émancipation des travailleurs qui sera l’œuvre des travailleurs ; la langue internationale ne se répandra pas par une décision des appareils d’Etat, mais par une volonté des citoyen(ne)s de mettre fin aux barrières linguistiques qui les séparent. C’est seulement lorsque cette volonté sera clairement manifestée que les appareils d’Etat suivront.

Poussons les !!

Stéphane Herve

« Les obstacles à la création d’un mouvement social européen unifié sont de plusieurs ordres. Il y a les obstacles linguistiques qui sont très importants, par exemple dans la communication entre les syndicats ou les mouvements sociaux_les patrons et les cadres parlent les langues étrangères, les syndicalistes et les militants beaucoup moins. De ce fait, l’internationalisation des mouvements ou des syndicats est rendue difficile »

Pierre Bourdieu

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Source : http://bellaciao.org/fr/spip.php?ar...