Dis-donc, Philippe !...

Publié le mardo 2a novembro 2004 par admin_sat

Le dimanche 17 octobre, sur Canal +, dans le “Vrai journal” de Karl Zéro, où le tutoiement est de mise (à part ton éphémère allié Charles Pasqua qui refuse cette règle !), tu as répondu à ses questions sur divers sujets : l’Union européenne, la Turquie, etc.

Je n’oublie pas que, lors du passage à l’euro, tu avais trouvé le moyen de lâcher une ânerie sur l’espéranto. Il en reste des traces [1].

Si ça peut te consoler, Jospin n’avait guère brillé lui aussi lorsque, en 1998, à Hong Kong, face à la Chine et au monde, il avait lourdement laissé entendre que l’espéranto appartenait au passé. Je te laisse deviner qui, de l’espéranto ou de Jospin, appartient aujourd’hui
au passé. Même chose pour l’ex-ministre Jean-Jacques Aillagon. Les ministres passent et trépassent, et l’espéranto poursuit sa route.

Il y a une constante : chaque fois que des hautes personnalités, y compris Charles de Gaulle, manifestent leur savoir en la matière, tout s’arrête à une boutade qui révèle les limites de leur culture générale et même leur myopie intellectuelle et politique sur une question aussi grave et lourde de conséquences que la communication linguistique entre des nations de langues différentes.

Du fait qu’il n’est plus possible de revenir au latin, qui garantissait la neutralité mais qui, en raison de la difficulté de le maîtriser, excluait son usage par les populations, l’espéranto représente l’alternative attendue depuis des siècles, y compris par cet éminent humaniste et pédagogue, pourtant usager du latin, que
fut Comenius (Jan Amos komensky).

Toi qui sait d’habitude te faire remarquer et entendre, parfois à juste titre (je suis à fond pour le haut débit sur Internet, et je suis irrité de ne plus pouvoir observer l’intense activité des abeilles à la floraison de mes kiwis), pourquoi n’oses-tu pas — de façon intelligente, s’il te plait ! — t’exprimer sur ce sujet ? Cette question n’est pas moins grave que celle de
l’admission de la Turquie dans l’UE et de la Constitution qui occulte la prévention contre la menace de domination de l’UE par une langue NATIONALE. Il s’agit d’une question infiniment plus grave que l’adoption de l’euro à la place de toutes les monnaies nationales.

Note en passant qu’à l’inverse, l’espéranto ne conduit pas au remplacement et à l’élimination des langues parlées dans les pays de l’Union et dans le monde, au contraire. En tant que député européen, tu n’ignores
certainement pas que l’anglais, contrairement à ce qu’avait dit le ministre Claude Allègre en 1997, est bel et bien une langue étrangère.

Mis à part le cas de l’Irlande linguistiquement déjà colonisée, le seul pays de l’Union où son apprentissage n’exige pas un surcroît d’effort énorme au niveau des personnes, des collectivités, des entreprises et de l’État, est la Grande-Bretagne.

Il est inutile, en Grande-Bretagne, de faire venir des enseignants d’anglais de l’étranger. Inversement, ce sont les enseignants et les élèves des pays non-anglophones qui, à grands frais, doivent longuement séjourner en Angleterre ! La part de budget britannique de l’éducation consacrée à l’enseignement des langues autres que l’anglais est quasiment nulle par rapport à celle des autres pays.

La “marche forcée vers l’anglais” (dixit Alain Minc) dispense ce même pays et les États-Unis de tout effort et leur procure même un atout majeur pour mener le monde, y compris l’UE, à leur guise. Il est ainsi inutile aux natifs anglophones de chercher à comprendre le principe de réciprocité de l’effort à partir du
moment où tout le monde ou presque se soumet docilement aux règles d’un jeu truqué.

Il faut une sacrée myopie intellectuelle et politique pour ne pas comprendre la différence entre une langue NATIONALE et une langue INTERNATIONALE et que le principe d’égalité des chances et des droits (oserais-tu
dire que tu t’en fous ?) est exclu d’emblée à partir du moment où la langue d’une nation, donc NATIONALE, est imposée dans le rôle de langue INTERNATIONALE.

Même chose pour la devise de l’Union, “Unité dans la diversité”, dont on voit l’application par la Commission : elle exclut ellemême l’usage de toute autre langue que celle d’une seule nation de l’Union, de celle qui
joue le rôle de sous-marin des États-Unis. Ce pays est non seulement dispensé de ce surcroît d’effort, mais il engrange des profits colossaux qui ont pu faire dire à un directeurdu British Council : "Le véritable or noir de la Grande-Bretagne n’est pas le pétrole de la
Mer du Nord, mais la langue anglaise
".

A l’échelle de la planète, des sommes astronomiques
et des temps considérables (“Time is money”, n’est-ce pas ?) sont ainsi dilapidés pour placer les citoyens en situation d’infériorité par rapport à la population native anglophone qui ne représente que 8% de l’humanité.

Avec l’espéranto, 90% de ces efforts pourraient être utilisés de façon plus profitable pour l’enseignement d’autres matières (et d’autres langues, y compris celle du pays), pour la culture, le social, la recherche, le sport, etc.

Wake up ! [2]

Visiblement, tes collègues députés, tant français qu’européens, n’ont pour la plupart encore rien pigé à ce jeu. Un seul Etat-membre sur 25 peut imposer sa langue sans que personne ne bronche ! Pas même toi !
Comme les documents à traiter paraissent toujours en premier lieu en anglais et que les locuteurs des autres langues ne reçoivent les traductions que bien plus tard, les Britanniques ont toujours plusieurs longueurs d’avance pour examiner les divers aspects des dossiers et mener des recherches. De ce fait, ils ont déjà mûrement réfléchi leur choix, leur tactique, leur stratégie, pendant que les autres attendent encore la traduction ou, dans le meilleur des cas, sont encore au stade de la lecture ou de la réflexion, du déchiffrage de subtilités comparables aux clauses à peine lisibles des contrats d’assurances.

Crois-tu encore que ceux qui préconisent l’alternative espéranto sont des naïfs indécrottables ? La naïveté, sinon la malignité, n’est-elle pas plus précisément du côté de ceux qui nous ont menés vers ce piège ?

Je sais que tu n’aimes pas les syndicalistes, mais je te donne l’avis d’un responsable du syndicat étasunien AFL-CIO, Mark Starr. Ancien mineur britannique émigré, il m’avait dit, en 1973, lors du congrès de l’Association Mondiale Anationale (SAT) qui s’était tenu en espéranto à Toronto, au Canada : “Celui qui
impose sa langue impose l’air sur lequel doivent
gesticuler les marionnettes !
”.

N’est-ce pas précisément ce qui se passe maintenant ! Tu as déjà vu Sarkozy s’évertuer à parler l’anglais ? Désopilant ! Et Barnier se fait foutre de lui de l’autre côté de la Manche ! The Guardian a pu écrire qu’il était “un poids léger qui n’a qu’une pâle maîtrise de l’anglais”. “Marionnettes” n’est-il pas le terme ?

Même le président Chirac a reconnu s’être fixé pour règle de ne jamais parler en anglais pour des négociations délicates. A New-York, après l’attentat du 11 septembre, lors d’une cérémonie, il s’était excusé de poursuivre en français un discours commencé en anglais.
English-only Europe ?

L’Europe avec l’anglais seulement ?

Connais-tu ? C’est le titre d’un ouvrage publié en 2002 par le professeur Robert Phillipson qui enseigne l’anglais à la Copenhagen Business School. Cet ancien du
British Council est aussi l’auteur de Linguistic Imperialism, autre ouvrage publié aussi chez Oxford University Press (1992).

En 1996, il avait participé comme observateur au congrès universel d’espéranto qui s’était tenu à Prague. Il fut ainsi amené à cet aveu : "Le cynisme autour de l’espéranto a fait partie de notre éducation".
Peut-être pourrais-tu, comme bien d’autres, en venir à la même constatation. Il n’est pas rare que l’évocation du mot "espéranto" suscite des ricanements ou des haussements d’épaules même chez des gens cultivés qui,
comme je l’ai écrit précédemment, montrent ainsi les limites de leur culture générale.

Il s’agit là d’un comportement assez coutumier de ceux qui ignorent leur ignorance.

Tu pourras en lire beaucoup plus dans le texte de deux pages que j’ai envoyé comme réaction au rapport Thélot et qui peut être lu sur www.esperanto-sat.info sous le titre “Un espace de cerveau pour l’anglais”, allusion au conditionnement des téléspectateurs mis récemment en relief par le PDG de TF1.

L’espéranto est la langue qui exige le moins d’espace de cerveau et qui en laisse le plus aux autres langues et matières. Ne penses-tu pas que ça mérite réflexion ?

Henri Masson