Génération "Bad English"

Publié le dimanche 14 avril 2002 par admin_sat , mis a jour le dimanche 8 août 2004

Champions de la dérive

"L’enseignement du français à la dérive" est le titre d’un appel de l’Association des Professeurs de Lettres (APL) publié dans "Le Monde" (7.3.2002). Il apparaît que "20% des élèves de sixième peuvent être considérés comme des illettrés" et que "leur scolarité se trouve d’emblée vouée à l’échec". L’APL dénonce la "nouvelle pédagogie du désordre" qui se met en place. Alors que, voici 35 ans, 15 heures étaient consacrées à l’enseignement du français en cours préparatoire, ce chiffre est tombé à 9h et passera à 7. Et la même politique sera appliquée dans le secondaire.

En d’autres temps, des élèves ont été sacrifiés aux mathématiques modernes, d’autres à la méthode globale. Maintenant, c’est le gavage au tout anglais.

C’est la Génération "Bad English" [1].

C’est ainsi que se produit le processus d’aliénation : nous aurons des jeunes qui ne se sentiront bien ni dans une langue ni dans l’autre, qui se sentiront aussi étrangers dans l’une que dans l’autre. Mauvais en français, mauvais en anglais, pareillement étrangers à deux cultures, mal dans leur peau, ils seront mûrs pour devenir des "sauvageons" sans repères culturels ou sinon des consommateurs et boursicoteurs abrutis.

"A nous Paris", hebdomadaire gratuit distribué dans le métro parisien, a publié dans son numéro du 18 au 24 mars un entretien avec Boutros-Boutros Ghali sur la Francophonie qui a bien du mal à enrayer le déclin du français sur la scène internationale. Mais personne ne s’interroge sur les origines de cette dérive. A titre d’exemple, c’est tout de même dans les jardins de l’Élysée, lors d’une réception, un certain 14 juillet, qu’à été admis le slogan "We are the champions" (Nous sommes les champions). Champions de quoi ? De "l’à-plat-ventrisme" ? [2]

Sur la page d’en face, sous le titre "Parlez-vous espéranto ?", Georges Kersaudy répond aux questions du journal. L’auteur de "Langues sans frontières" (éd. Autrement), pense que l’espéranto représente l’alternative et déplore l’attitude des pouvoirs à son égard alors que son enseignement est économique et que sa connaissance favorise l’apprentissage des autres langues. Pour l’avoir appris à quinze ans, il en sait quelque chose puisqu’il parle, écrit et traduit 51 langues d’Europe et d’Asie, sans compter une bonne approche d’autres langues.

La cerise sur le béton

Professeur de philosophie dans un lycée en "zone sensible", âgé de 28 ans, Vincent Cespedes est aux premières loges pour ressentir le malaise de notre société. Son second livre s’intitule "La cerise sur le béton — Violences urbaines et libéralisme sauvage" [3]. L’auteur interpelle ceux qui se réclament de l’ordre et qui ont désorganisé cette société où sévit le libéralisme liberticide. A une politique économique et sociale sauvage, que ne peut défendre aucune morale laïque ni même religieuse qui se respecte, répond un comportement sauvage.
Le Bien se sent mal, le Mal se sent bien, et ceux qui sont à l’origine de ce désordre de plus en plus policé se font passer pour les tenants de l’Ordre et du Bien.

Sous le titre "Espéranto", plusieurs pages de son ouvrage (206 à 216) plaident pour l’enseignement de cette langue : "il devrait être enseigné dans toutes les écoles de la Communauté". L’auteur a très bien compris que l’espéranto "ne doit pas concurrencer les langues nationales". Ce n’est pas seulement comme langue qu’il le présente, mais aussi, vu que "la psyché est structurée par le langage", comme moyen de "résister à l’invasion de la psyché libérale-totalitaire".

Défaillances et déficiences

Dans un article intitulé "L’affaire Enron-Andersen ébranle le capitalisme mondial", "Le Monde" (18 mars 2002) a fait écho au scandale "dont les Européens comptent tirer profit pour éviter la domination des normes et méthodes comptables américaines, voire pour parvenir à construire de vraies normes internationales". PDG de BNP Paribas, Michel Pébereau semble avoir enfin découvert ce dont les usagers de l’espéranto étaient conscients depuis déjà fort longtemps : "Laisser le système comptable d’un pays s’imposer aux autres, c’est donner un avantage énorme aux entreprises de ce pays, comme si on imposait à tout le monde de n’utiliser qu’une langue". Et le quotidien d’ajouter : "Mais si les États-Unis ont reconnu la défaillance de certains aspects de leur système financier, ils n’ont pas reconnu celle de leurs normes comptables."

Pourquoi ne pas reconnaître aussi, par la même occasion, les défaillances et déficiences de la langue anglaise qui, en raison de son incohérence graphique et phonétique, favorise l’apparition de la dyslexie ?

Donner sa langue au "Chat"

Le 14 mars 2002, le Commissaire européen au Commerce, Pascal Lamy, a invité les internautes à participer à un débat en ligne ("Chat") et à lui présenter leurs points de vue et leurs questions sur les sujets importants avec l’avertissement suivant :
"Langues : la discussion aura lieu en anglais et en français. Les questions pourront également être posées en allemand ou en espagnol, mais les réponses seront données en anglais pour des raisons techniques."

La première question à poser ne concernait-elle pas la dérive linguistique de l’Union européenne ? Une dérive au profit de qui ? De ceux qui ne cessent de poser des chicanes : GATT, sommets de Rio et de Kyoto, brevets, protectionnisme, etc. ?

Le franc, le mark, la lire, la peseta ont disparu. Le même sort attend beaucoup de langues, et c’est bien sur ça que comptent les tenants de la pensée unique.

Henri Masson