Jules Verne et Élisée Reclus

Publié le vendredo 15a julio 2005 par admin_sat

Tout à fait contemporains l’un par rapport à l’autre, Jules Verne (1828-1905) et Élisée Reclus (1830-
1905) partageaient les mêmes passions : les sciences en général et la géographie en particulier. Selon
Lionel Dupuy [1], ils ont très bien pu se rencontrer du fait qu’ils appartenaient tous deux au même moment
à la Société de Géographie. Il est néanmoins certain que Jules Verne était admirateur d’Élisée Reclus.

Profondément épris de liberté, Jules Verne
n’en était pas pour autant libertaire. Quelques traits anarchistes apparaissent pourtant dans le personnage du capitaine Nemo, commandant du Nautilus, principal héros du roman “Vingt mille lieues sous les mers“, commencé en 1866 et publié en 1869 :
“Je ne suis pas ce que vous appelez un homme civilisé ! J’ai rompu avec la société toute entière pour des
raisons que moi seul j’ai le droit d’apprécier.
Je n’obéis donc point à ses règles et je vous
engage à ne jamais les évoquer devant moi !“
“La mer n’appartient pas aux despotes. A la
surface, ils peuvent encore exercer des droits
iniques, s’y battre, s’y dévorer, y transporter
toutes les horreurs terrestres. Mais à trente
pieds au dessous de son niveau, leur pouvoir
cesse, leur influence disparaît ! Ah ! monsieur,
vivez, vivez au sein des mers ! Là seulement
est l’indépendance ! Là je ne reconnais pas de
maître ! Là je suis libre !”.

Certains voient poindre des sympathies anarchistes dans l’un de ses tout derniers romans : “En Magellanie”, dont l’esprit avait été trahi, comme “Voyage d’études”, par son fils Michel.

Un autre point aurait pu rapprocher le romancier et le géographe : une certaine idée de l’espéranto.

Jules Verne avait pressenti dans l’espéranto “le plus sûr, le plus rapide véhicule de la civilisation” ; c’est dans l’espéranto qu’il voyait la clé, reforgée artificiellement, “du verbe humain égarée de la tour de Babel”. Au même moment, Élisée Reclus avait constaté les progrès rapides de cette langue “peut-être plus dans les masses populaires que parmi les classes supérieures, dites intelligentes.“ Voilà une expression fort intéressante dans sa formulation : “dites intelligentes” !...
Car, quand on y regarde de plus près...

Jules Verne avait été élu en 1888 au conseil municipal d’Amiens sur une liste radicalesocialiste. Il s’opposa au maire pour que les subventions de la ville aillent à l’école de médecine et non à l’hébergement d’un bataillon. En somme : priorité à la vie.

Jules Verne avait conscience que la science pouvait déboucher sur le meilleur ou le pire. Pour Élisée Reclus le mot “science” allait de pair avec le mot “conscience”. Observateur de l’homme et de son milieu de vie, du cadre
social, il s’engagea à fond dans la lutte contre les pouvoirs responsables des maux de la société.

Militant anarchiste, il fut exilé en 1851 pour avoir tenté d’organiser, avec son frère Élie, une résistance suite au coup d’État du futur Napoléon III, celui que Victor Hugo, contraint de s’exiler en Belgique, avait nommé “Napoléon le Petit”.

En 1872, sa condamnation à la déportation, pour sa participation active à la Commune de Paris, fut commuée en bannissement. Il s’installa en Suisse, où il rédigea
la “Nouvelle Géographie Universelle” en 19 volumes Il rencontra Michel Bakounine et le prince Piotr (Pierre) Kropotkine, géographe lui aussi, tous deux théoriciens
de l’anarchie.

Il s’installa ensuite à Ixelles, près de Bruxelles, en Belgique. Une université nouvelle fut créée sous son impulsion, ainsi qu’un Institut des Hautes Études (1894) où il enseigna. Dans un entretien accordé en 1893 au journaliste étasunien Robert Sherard [2], Jules Verne avait déclaré : “J’ai toutes les oeuvres de Reclus — j’ai une grande admiration pour Élisée Reclus — et tout Arago”. Son auteur favori était Charles Dickens, mais il ne le lut qu’en traduction car il avoua ne pas connaître plus d’une centaine de mots d’anglais. Il admirait aussi Guy de Maupassant.