L’espéranto à l’école

Publié le januaro 2003 par admin_sat , mis a jour le sabato 21a aŭgusto 2004

L’intérêt de l’espéranto a été maintes fois démontré comme activité d’éveil, comme enseignement propédeutique (préparatoire) à celui des langues, et aussi pour d’autres matières. L’idée de faire correspondre des élèves qui l’apprenaient remonte à 1903 (1). Elle revient à deux instituteurs : Édouard Ducommun, à Le Locle (Suisse) (2), et Teodor Tchejka, à Bystrica ( Moravie).

Pédagogue dont la renommée a franchi les frontières de la Suisse, professeur de l’Université de Genève, directeur de l’lnstitut des Sciences de l’Éducation à Genève, Pierre Bovet (1878-1965) fut parmi les premiers à reconnaître les mérites de cette langue : "L’espéranto est un des meilleurs moyens de faire trouver, aux enfants, un intérêt très vif aux exercices, si souvent fastidieux, des cours de langues. Quand il abordera l’étude des langues étrangères, cet assouplissement du sens linguistique sera d’une valeur inestimable. L’espéranto se plaçant à mi-chemin entre le français et l’allemand, par exemple, ou le latin, permettra en les fractionnant de réduire considérablement les difficultés."
Philologue, célèbre professeur de latin de l’Université de Cambridge, John E.B. Mayor plaida avec tout autant de force : "Comme introduction à l’étude des autres langues, une langue aussi simple, aussi riche en voyelles que l’espéranto aurait une grande valeur, spécialement pour les Anglais. Il faudrait enseigner aux enfants d’abord l’espéranto, pour passer ensuite au français, au latin, à l’allemand et au grec." C’est à 83 ans qu’il avait eu l’audace de prononcer un discours, remarquable et remarqué, de clôture du Congrès Universel d’Espéranto de Cambridge (12 au 17 août 1907) dans cette langue étudiée durant une petite semaine !
Certes, aujourd’hui, la place du grec et du latin est très réduite dans l’enseignement, et, dans le rapport n° 73 du Sénat (1995-1996), rapport dit "Legendre", l’allemand était déjà mentionné avec l’italien comme étant en recul.

Une expérience scolaire menée en 1921 à l’école "Green Lane" de Bishop Auckland, en Angleterre, aboutit à un succès indéniable. Inspecteur Royal des Écoles, A. Parkinson exprima ainsi son étonnement : "Au début de l’expérience, je n’avais aucune connaissance pratique de l’espéranto, bien que j’en avais entendu parler. J’ai été tellement stupéfait des progrès faits par les enfants que je me suis décidé à l’apprendre pour mieux juger de leur travail. En étudiant moi-même la langue, j’eus encore l’occasion de constater sa grande valeur pédagogique et éducative."

Plus d’un demi-siècle plus tard, un enseignant de Hawaï, Mike Azevedo (Waianae Elementary School) parvint à la même constatation : "En toute honnêteté, je dois reconnaître que ce n’est pas sans réticence que j’ai accueilli l’idée d’utiliser l’espéranto dans ma classe. Cette langue paraissait totalement inutile pour des enfants qui n’ont déjà pas trop de tout leur temps pour apprendre l’anglais. Or, nous avons fait l’essai et je dois avouer que les résultats ont été surprenants. (...) Même si cet espéranto ne réussit jamais à devenir la deuxième langue dans tous les pays du monde, il a appris plusieurs choses importantes à mes élèves. Il a représenté pour eux une ouverture en ce qui concerne les langues étrangères. (...) L’espéranto nous a beaucoup aidés pour l’analyse de la structure des phrases dans notre propre langue. (...) Il a indirectement contribué à accroître le vocabulaire anglais ; en fait, pour certains élèves moins doués que les autres, cette augmentation du vocabulaire a été tout à fait considérable."
Professeur de philologie à l’Université de Columbia (New York), linguiste et pédagogue, auteur de plusieurs ouvrages dont une histoire de la langue anglaise, de "What’s in a Word ? Language Yesterday, Today and Tomorrow" (Hawthorn Books, New York, 1968) "One Language for the World"), Mario Pei avait lui aussi souligné l’intérêt de l’enseignement de l’espéranto : "Ne voulant pas le moins du monde atténuer la valeur des autres langues actuellement enseignées, je pense que l’enseignement de l’espéranto aux degrés élémentaires présente plusieurs avantages : il a été prouvé expérimentalement que l’espéranto constitue un excellent pont pour l’étude des autres langues, car, grâce à sa simplicité de structure et de vocabulaire, il brise la résistance initiale de l’élève moyen unilingue. Il renforce en même temps son vocabulaire de mots étrangers et crée chez l’enfant une confiance en sa propre capacité d’étudier et d’assimiler des langues étrangères."

En France, mis à part Jean Zay qui, par un décret de 1938, permit son enseignement comme activité dirigée, tout ceci n’a pas empêché nos ministres de l’Éducation nationale, de quelque bord que ce soit, de regarder l’espéranto avec dédain.

Paradoxalement, le premier ministre de l’éducation au monde à avoir résolument soutenu son enseignement fut Tsaï Yuan-pei, dans le gouvernement de Sun Yat-sen, en Chine, dès 1912, par décret l’introduisant dans les écoles normales, puis en 1921, lorsqu’il devint recteur de l’Université de Pékin. Des centaines d’enseignants furent formés.

En 1948, dans un rapport publié en Suède, Pierre Bovet avait écrit : "Au total, nous avons constaté que l’enseignement de l’espéranto, partout où il a été introduit, crée une athmosphère de joie et une athmosphère de bonté. C’est bien quelque chose." Or, l’année dernière, Vincent Cespedes, professeur de philosophie d’un lycée de "zone sensible", a publié un livre intitulé "La cerise sur le béton" dans lequel il a consacré plusieurs pages à un plaidoyer pour l’enseignement de l’espéranto "dans toutes les écoles de la Communauté". Ceux qui se plaignent que les banlieues flambent devraient s’interroger sur la politique d’enseignement des langues et se fier d’abord à leur propre capacité de recherche et de comparaison plutôt qu’au discours officiel. Il y a un véritable gâchis, d’ailleurs dénoncé par Claude Piron dans "Le défi des langues", et une politique aliénante d’enseignement des langues privilégiant celle qui fabrique des déracinés dans leur propre pays et qui inculque des modèles de société dans lesquels n’ont de place que le profit et la violence.
Henri Masson

1. un centième anniversaire en vue là aussi !
2. Fait curieux, il habitait là où réside aujour’dhui Mireille Grosjean, secrétaire de SAT-Amikaro pour la Suisse, et qui, en tant qu’enseignante spécialisée dans la formation des enseignants suisses, italiens et français aux contacts interculturels, expose justement sa propre expérience dans un ouvrage intitulé "Les échanges de classes clé en main".