La campagne...certains s’en font une montagne

Publié le ĵaŭdo 14a marto 2002 par admin_sat , mis a jour le vendredo 4a julio 2008

A l’heure de la globalisation, le problème de la communication linguistique se pose déjà à tous les niveaux : individuel et collectif, local, régional, national, européen, mondial.
La situation actuelle risque de déboucher sur un monopole linguistique au profit de nations qui abusent déjà de leur puissance.
Gouverner, c’est prévoir...
Or, peu de candidats mesurent tout l’enjeu.
Voici un aperçu des réponses qui nous sont parvenues jusqu’au 6 mars, soit directement, soit par l’intermédiaire de nos adhérents.

Jean-Pierre Chevènement :
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"La diversité linguistique européenne est aussi une richesse. Une langue commune inventée de toutes pièces n’aurait ni coeur ni âme ni histoire. L’exemple de l’espéranto, pourtant proposé par des gens de très bonne volonté, montre la difficulté de l’exercice. Certes, les langues sont mortelles, mais laissons les peuples, finalement, en décider."

Quatre phrases, cinq erreurs d’appréciation :
1. Cette "diversité" et cette "richesse" sont menacées par une langue glottophage imposée à l’encontre des principes de liberté et d’égalité en dignité et en droits (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : article 1) et d’égalité des chances. (voir le point 5).
2. Parler ainsi au conditionnel d’une langue qui fonctionne et qui vit sa propre vie, dont Umberto Eco a lui-même reconnu que "c’est une langue construite avec intelligence et qui a une histoire très belle" après avoir été amené à l’étudier en profondeur pour un cours au Collège de France, c’est montrer une disposition à parler de choses que l’on ignore.
3. "La difficulté de l’exercice" ne vient pas des aspects linguistiques mais de la négligence et de la superficialité d’un monde politique qui ne suscite guère la confiance, la sympathie, l’estime et l’enthousiasme des citoyens.
4. Des linguistes aussi renommés que Baudoin de Courtenay, Antoine Meillet, Edward Sapir et bien d’autres ont démontré que l’espéranto n’est pas une langue "inventée de toutes pièces". Tout son vocabulaire est issu de langues vivantes dont il a puisé le meilleur.
5. Ce ne sont pas les peuples qui décident mais ceux qui, par le biais de la langue, visent à leur inculquer leur propre façon de penser et de voir le monde pour mieux les dominer. Que sait l’ex-ministre des ouvrages "Praise of Cultural Imperialism" (Louange de l’impérialisme culturel) de David Rothkopfs, ou "Linguistic Imperialism" (Robert Philippson, Oxford University Press), de l’"Anglo-American Conference Report 1961", ou de propos édifiants tenus par Robin Coock, Mme Madeleine Albright, ou Mme Margaret Thatcher, la grande copine de Pinochet ? Que dire des postes de décisions attribués de plus en plus fréquemment en priorité à des natifs anglophones dans les institutions et dans des multinationales ? Et de la Commission européenne de Bruxelles qui contraint les nouveaux candidats à l’adhésion à l’Union européenne à ne s’adresser à elle qu’en anglais ? Et de l’affaire des brevets ? Le dossier est épais et accablant.

Autre réponse de J.-P. C. : "Nous pensons que l’histoire de l’espéranto devrait être insérée dans les programmes d’histoire (...) pas de refus sur le fond, donc, mais une réflexion sur la forme et l’opportunité."

Christiane Taubira
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s’exprime par l’intermédiaire de Pascal Cedan : "L’espéranto nous apparaît comme un très beau message d’espoir pour la paix dans le monde et l’entente entre tous les hommes. Christiane TAUBIRA est favorable à l’introduction de cette langue comme matière optionnelle au baccalauréat et à son enseignement dans les universités, dans les filières lettres et sciences humaines."

Arlette Laguiller :
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"Nous ne sommes bien sûr pas contre l’espéranto, bien sûr. C’est une tentative qui procède de préoccupations que nous partageons. Mais est-ce la solution au problème de supprimer les fossés qui existent entre les peuples ? Le problème de la langue n’est pas le plus important. Et d’ailleurs les hommes ont la faculté d’apprendre bien des langues différentes si les conditions matérielles s’y prêtent.

En revanche les obstacles créés par des siècles d’exploitation des pays pauvres par les pays riches nécessitent de tout autres changements. En fait tant qu’existera l’organisation sociale actuelle ces fossés resteront et c’est de cela dont il faut s’occuper en priorité."
La langue qui favorise ce type d’organisation sociale injuste est précisément celle qui étend insidieusement son emprise, son empire. La priorité, pour pouvoir s’entendre sur un projet d’ampleur mondiale et d’une grande complexité, quel qu’il soit, c’est de bien se comprendre. Voir par ailleurs la réponse n° 5 à Chevènement et, ci-après, l’avis de Pierre Bourdieu. Le rejet de l’espéranto a toujours été le fait des régimes totalitaires et de ceux qui pratiquent la langue de bois.

Ange Piccolo,

tel quel : "hélas on a beaucoup perdu pour l’espéranto espoir vain la technique va arranger il existe deja sur le marche un appareil capable de traduire directement le langage je m’explique si un français parle à un italien ou autre il parle français sa voix on ne l’entends pas on entends l’italien si l’italien à le même plus de problèmes l’appareil est encore encombrant mais les puces sont la elle vont réduire le truc invisible c’est l’évolution".

Ange Piccolo revendique une "France Forte et Intelligente "FFI" (sic). Mais où est l’intelligence lorsqu’elle cède la place à des prothèses linguistiques et autres gadgets auxquels n’auront accès que les habitants les plus aisés des pays économiquement et techniquement les plus développés ?

Robert Hue :

"Votre souhait d’instaurer une langue universelle qui pourrait valoriser les échanges entre tous les êtres humains s’inscrit dans une démarche profondément humaine et progressiste que nous ne pouvons que partager. En même temps, nous voyons le danger qu’il y aurait à sous estimer l’apport et l’attachement des peuples à leur culture ou langue, qu’elles soient régionales ou nationales."

Du fait qu’il n’y a derrière lui aucune puissance (nation, finance...) et qu’il est porteur d’une façon humaine et non technocratique de voir le monde, l’espéranto représente justement le moyen de préserver celles-ci. Quant au danger de sous-estimation, voir aussi les points n° 1 et 5 de la réponse à Chevènement. A noter que le PCF a émis 2 propositions de loi en faveur de l’enseignement de l’espéranto, (1995 et 1997).

Jacques Chirac, Lionel Jospin et Alain Madelin

n’ont pas encore pris position.
Bien des aspects de la question échappent donc à la plupart des candidats. On ne peut que leur conseiller de lire (entre autres) "Le défi des langues - du gâchis au bon sens" (Claude Piron, éd. L’Harmattan) et "Langues sans frontières". (Georges Kersaudy, éd. Autrement) avant de se prononcer.

Les espérantophiles et espérantophones qui préconisent un bilinguisme universel équitable et économique, réalisable dans les meilleurs délais et à moindres frais, ont intérêt à penser qu’il faut savoir compter d’abord sur soi-même : "Aide-toi, le ciel t’aidera".

Débat à suivre en section "Social" de notre site.

Henri Masson

Pierre Bourdieu *

"Les obstacles à la création d’un mouvement social européen unifié sont de plusieurs ordres. Il y a les obstacles linguistiques, qui sont très importants, par exemple dans la communication entre les syndicats ou les mouvements sociaux ou les patrons et les cadres parlent les langues étrangères, les syndicalistes et les militants beaucoup moins. De ce fait, l’internationalisation des mouvements sociaux ou des syndicats est rendue difficile."
Extrait d’un texte de Pierre Bourdieu publié dans "Le Monde Diplomatique" de février 2002.

* Sociologue et ethnologue (1930-2002), Pierre Bourdieu a consacré sa vie à l’étude des comportements, de l’école, des mécanismes inconscients, des inégalités et des différences, etc.