La déferlante du “Bien”

Publié le sabato 8a marto 2003 par admin_sat , mis a jour le dimanĉo 25a novembro 2007

Je viens d’un pays, où plusieurs millions d’hommes luttent péniblement aujourd’hui pour la liberté, pour la plus élémentaire liberté humaine, pour les droits de l’homme. [...] Dans ce pays, nous assistons à un conflit cruel entre races. Là-bas, nous ne voyons pas des hommes d’un pays attaquer, pour des raisons politiques et patriotiques, des hommes d’un autre pays. Là-bas, les enfants naturels d’un même pays se jettent comme des bêtes cruelles contre des enfants naturels du même pays, uniquement parce que ceux-ci n’appartiennent pas à la même race. Tous les jours, de nombreuses vies humaines sont sacrifiées dans des luttes politiques, mais beaucoup plus nombreuses sont celles qui sont anéanties dans les conflits inter-raciaux. La situation est épouvantable dans le Caucase, où de nombreuses langues sont parlées ; elle est terrible dans l’ouest de la Russie. Qu’elle soit maudite, mille fois maudite, la haine raciale !

Abattez, abattez les murailles qui séparent les peuples. Donnez-leur la possibilité de se connaître librement et de communiquer sur une base neutre, et c’est alors que pourront cesser les atrocités que nous voyons commettre en tant d’endroits.

Nous ne sommes pas aussi naïfs que certains l’imaginent. Nous ne croyons pas qu’une base neutre transformera les hommes en anges ; nous savons parfaitement que les mauvais resteront mauvais, mais nous pensons que le fait de se connaître et de communiquer sur des bases neutres pourra éliminer la plus grande partie de ces crimes, de ces actes inhumains qui ne sont pas causés par une réelle méchanceté, mais simplement par une méconnaissance réciproque et par la volonté de se dominer les uns les autres.

Aujourd’hui, alors que, en bien des endroits, les conflits entre races sont devenus si cruels, nous, espérantistes, devons travailler plus dur que jamais.
Cet extrait d’un discours du Dr Zamenhof, prononcé à Genève en 1906, lors du deuxième congrès universel d’espéranto, montre que rien n’a changé : l’effort doit être poursuivi.

En 1906, au congrès de Genève, sa constatation fut la même à propos de pogroms dont son pays venait d’être le théâtre : “Dans les rues, des sauvages armés de haches et de barres de fer se jetaient bestialement contre de paisibles habitants dont la seule faute était de parler une autre langue et de pratiquer une autre religion qu’eux. Pour cela, on fracassait les crânes, on crevait les yeux d’hommes, de femmes, de vieillards impotents et d’enfants sans défense [...] De toute évidence, la responsabilité en retombe sur ces abominables criminels qui, par les moyens les plus vils et les plus fourbes, par des calomnies et des mensonges massivement répandus, ont créé artificieusement une haine terrible entre les peuples. Mais les plus grands mensonges et calomnies pourraient-ils donner de tels fruits si les peuples se connaissaient bien les uns les autres, si entre eux ne se dressaient des murs épais et élevés qui les empêchent de communiquer librement et de voir que les membres des autres peuples sont des hommes tout à fait semblables à ceux de notre propre peuple, que leur littérature ne prêche pas de terribles crimes mais la même éthique et les mêmes idéaux que la nôtre ?

En 1914, Zamenhof avait ainsi justifié son refus de prendre part au premier congrès de la Ligue Mondiale des Espérantistes Juifs qui devait se tenir à Paris :
Je ne peux malheureusement pas vous donner mon adhésion. Suivant mes convictions, je suis “homarano” [membre de l’humanité] et ne peux adhérer aux objectifs et aux idéaux de quelque groupe ou religion que ce soit... Je suis profondément convaincu que tout nationalisme ne peut apporter à l’humanité que de plus grands malheurs et que le but de tous les hommes devrait être de créer une humanité fraternelle. Il est vrai que le nationalisme des peuples opprimés — en tant que réaction naturelle de défense — est bien plus pardonnable que celui des oppresseurs ; mais si le nationalisme des forts est ignoble, celui des faibles est imprudent... L’un engendre l’autre et le renforce, et tous deux finissent par créer un cercle vicieux de malheurs dont l’humanité ne sortira jamais à moins que chacun de nous ne sacrifie son propre égoïsme de groupe et ne s’efforce de se placer sur un terrain tout à fait neutre... C’est pourquoi — bien que je sois déchiré par les souffrances de mon peuple — je ne souhaite pas avoir de rapports avec le nationalisme juif et désire n’oeuvrer qu’en faveur d’une justice absolue entre les êtres humains. Je suis profondément convaincu que, ce faisant, je contribuerai bien mieux au bonheur de mon peuple que par une activité nationaliste...

Bien plus tard, une approche scientifique de la question des rapports entre les peuples avait amené Serge Tchakhotine à plaider pour l’espéranto — langue qu’il avait étudiée — dans son ouvrage magistral “Le viol des foules par la propagande politique” : “Il est clair que la nation dont la langue serait reconnue comme universelle, acquerrait des avantages économiques, culturels et politiques sur les autres. Mais l’inertie et l’esprit conservateur des gouvernants de presque tous les pays empêche encore que l’espéranto puisse devenir la langue auxiliaire mondiale [1].”

Faut-il reprocher aux seuls anglophones la situation actuelle de domination linguistique ?

En 1907, lors d’une cérémonie d’accueil du Dr Zamenhof au Guildhall, le lord-maire de Londres, Sir T. Vezey Strong, avait dit : “Lorsqu’on m’a parlé de l’espéranto comme langue internationale, j’ai souri, car je suis un Anglais, et j’étais convaincu que, si une seule langue mondiale était possible, cette langue ne pouvait être que l’anglais. Cependant, par la suite, j’ai médité là-dessus et je me suis convaincu qu’aucun peuple n’accepterait l’hégémonie que s’assurerait ainsi le royaume britannique, tout comme moi, je ne tolérerais jamais pareille hégémonie de la part d’un autre peuple. Il devint alors clair pour moi que la langue neutre Espéranto pouvait être prise en considération.
En 1922, alors que le gouvernement français mettait tout en oeuvre pour couler l’espéranto, c’est un autre Anglais, Lord Robert Cecil, qui défendit cette langue devant la Commission de coopération intellectuelle de la Société des Nations (SDN). Il exhorta la Commission à “se souvenir qu’une langue mondiale n’est pas nécessaire seulement pour les intellectuels, mais avant tout pour les peuples eux-mêmes.” Ces paroles ont une résonnance particulière aujourd’hui quand nous voyons le manque de cohésion de l’Union européenne dans laquelle les peuples sont cloisonnés par leurs langues.

La Culture du “Bien”

Le dernier président qui, la main sur la Bible, ait prêté serment à la constitution des États-Unis, et qui veut inculquer au monde la Culture du “Bien”, a de sérieuses références familiales en la matière : des documents d’archives néerlandaises et étasuniennes prouvent en effet que Prescott Buisson, son grand-père, avait réalisé des profits considérables sur les “activités” du camp d’extermination nazi d’Auschwitz [2]. L’hôte de la Maison Blanche met en pratique ce qu’Hitler avait écrit dans “Mein Kampf” : “Grâce à des mensonges adroits, répétés sans relâche, il est possible de faire croire aux gens que le ciel est l’enfer, et l’enfer le ciel... Plus grand est le mensonge, plus promptement il est accepté.
Ajouté au mépris des conventions internationales, de l’avenir de l’humanité, à l’achat de votes à des pays exsangues et ruinés, le fait que ce président ait déclaré que lui-même et les forces armées des États-Unis récusaient la juridiction de la Cour internationale de La Haye contre les crimes de guerre constitue en définitive un aveu d’intentions criminelles, une autorisation à commettre le pire. Si c’est un crime de guerre d’incendier des puits de pétrole, que dire de la façon de résoudre un conflit qui tue des milliers d’innocents, fait des millions réfugiés et laisse inévitablement une multitude de séquelles que des dizaines d’années ne pourront effacer ?

Henri Masson