La relation de cause à effet

Publié le dimanĉo 11a aŭgusto 2002 par admin_sat

Tous ces « moyens les plus vils » dont parlait Zamenhof, nous les trouvons dans « Mein Kampf », le livre dans lequel Hitler avait écrit que toute propagande doit régler son niveau le plus bas possible de manière à être accessible aux êtres les plus bornés. Et il avait précisé :

"La tâche de la propagande ne réside pas dans la formation scientifique de l’individu, mais consiste à inculquer à la masse des faits, processus, nécessités, etc., dont la signification doit être de ce fait mise à la portée de la masse."
Nous savons trop bien où a mené l’utilisation de ces mêmes procédés, par exemple par des médias du Rwanda, de Yougoslavie et d’ailleurs.
Diplomate français, le comte Joseph de Gobineau (1816—1882) soutint la théorie de la supériorité de la race germanique. Dans son « Essai sur l’inégalité des races », il avait écrit : « la hiérarchie des langues correspond rigoureusement à la hiérarchie des races. » Au XXème siècle, il devint l’un des principaux inspirateurs du national-socialisme hitlérien. Dans son sillage, on trouve Léon Bérard qui fut ministre de l’éducation nationale lorsque le gouvernement français s’opposa farouchement à toute discussion sur l’espéranto à la Société des Nations, à partir de 1921. Il alla même jusqu’à interdire l’utilisation des locaux scolaires pour son enseignement.

Sous l’occupation, Bérard devint ambassadeur du gouvernement de Vichy auprès du Saint Siège. Dans le même camp des pourfendeurs de l’espéranto devant la SDN, nous trouvons aussi le professeur suisse Gonzague de Reynold qui devint idéologue d’extrême-droite et partisan du régime hitlérien. Il y eut aussi Gabriel Hanotaux (1853—1944), membre de l’Académie française, ancien ministre des affaires étrangères et historien. Il importe de savoir ce que furent ceux qui ont entravé l’espéranto et qui ont cherché à détruire son prestige. Hanotaux fut un apologiste de l’impérialisme et un thuriféraire de Napoléon 1er, cet empereur dont les guerres firent plus d’un million de morts en Europe, celui qui rétablit l’esclavage et la traite des Noirs, celui dont les méfaits sont passés sous silence. L’historien Louis de Villefosse a écrit de l’empereur, dans son livre « L’opposition à Napoléon », qu’il fut « le grand promoteur du militarisme français et par contre-coup du militarisme allemand », et que « l’engrenage des conflits qui mettront le XXe siècle à feu et à sang, il lui a imprimé sinon l’impulsion première, du moins la plus violente, et déterminante ». La culture de la paix passe par une réécriture impartiale, honnête et neutre de l’histoire. Il serait même logique que ceci se fasse dans une langue neutre, anationale, une langue conçue pour la culture de la Paix.

La langue est incontestablement un instrument de conquête coloniale et de domination de certains pays sur d’autres. Le maréchal Lyautey regretta en son temps la difficulté du français : « Le plus grand obstacle à notre colonisation est la grammaire du français », avait-il déclaré.

L’information est aujourd’hui dominée par les grandes agences de presse américaines. Elles s’efforcent d’aligner l’opinion mondiale sur les seuls intérêts des milieux d’affaires étasuniens. Peu leur importe qu’une large majorité de la population mondiale ne puisse s’exprimer en anglais et défendre d’autres points de vue. Ce qui compte, c’est d’imposer le leur en inculquant à la masse ces mêmes « faits, processus, nécessités, etc. » chers à Hitler.

Certes, la manière de présenter tout ceci est moins brutale. Ce conditionnement n’a plus rien à voir avec les propagandes nazie et stalinienne, mais il n’en est que plus insidieux. Dans « Le Monde Diplomatique » de ce mois-ci (mai 2000), Ignacio Ramonet, écrit :

"On domine d’autant mieux que le dominé en demeure inconscient. Les colonisés et leurs oppresseurs savent que la relation de domination n’est pas seulement fondée sur la suprématie de la force. Passé le temps de la conquête, sonne l’heure du contrôle des esprits. C’est pourquoi, sur le long terme, pour tout empire désirant durer, le grand enjeu consiste à domestiquer les âmes."

Quoi qu’on en dise, l’anglais est bel et bien une langue étrangère dans laquelle les premiers à être à l’aise sont les natifs, ceux qui sont « tombés dans la marmite" [1]. Il importe de ne pas se conduire comme des moutons de Panurge face à l’apologie qui en est faite ci et là.
Les dirigeants étasuniens, dirigés eux-mêmes par les milieux d’affaires, tiennent à ce que l’anglais soit imposé. Ils savent très bien que les flux d’échanges, la fuite des cerveaux, la gestion et le contrôle des affaires du monde (Echelon !...) passent mieux, à leur bénéfice, par une langue qui les dispense d’en apprendre d’autres : la leur.
Ils ont compris que c’est à eux que reviendra le véritable avantage en contraignant les 92% de natifs non anglophones à apprendre une langue qui leur est bel et bien étrangère, donc à détourner de la recherche et de la création une part importante de leur temps, de leur budget, de leurs efforts intellectuels. Directeur général du cabinet de consultants Kissinger Associates, David Rothkopf a affirmé : "Il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais ; que, s’il s’oriente vers des normes communes en matière de télécommunications, de sécurité et de qualité, ces normes soient américaines ; que, si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains ; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les Américains se reconnaissent" (cité dans "Le Monde Diplomatique", août 1998).

Bien avant l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun (1973), le British Council avait déjà perçu l’avantage d’une langue dont les Anglais pouvaient réellement dire, eux, qu’elle ne leur était pas étrangère : "Il y a un élément de commercialité dissimulé dans chaque professeur, livre, revue, film, programme télévisé, de langue anglaise envoyés au delà des mers" Si alors nous sommes en train de tirer un avantage politique, commercial et culturel de l’usage mondial de l’anglais, que faisons-nous pour maintenir cette position ?" (Extrait du rapport annuel de l’année 1968-69). Pour la période d’activités 1971-1972, le British Council a reçu 16% de crédits supplémentaires du gouvernement britannique...

La langue n’est qu’un atout parmi d’autres, comme une monnaie forte, mais ce n’est pas le moindre. Les dés sont truqués. Lors d’un congrès de SAT, à Toronto, un participant new-yorkais m’avait dit : "Le pays qui impose sa langue impose l’air sur lequel doivent gesticuler les marionnettes". C’est ce que pratiquaient les puissances colonialistes.

Le ministre de l’Éducation nationale Claude Allègre avait déclaré en 1997 que l’anglais ne devait plus être considéré comme une langue étrangère. En 1999, il s’étonnait de ce qu’il nommait "cette extraordinaire machine d’invasion intellectuelle que constituent désormais les États-Unis" sans penser un seul instant que la langue avait joué un rôle considérable dans ce processus de domination qui ira en s’aggravant.

Dès 1952, dans son ouvrage "Le viol des foules par la propagande politique", Serge Tchakhotine avait plaidé pour l’espéranto, langue qu’il avait étudiée : "Il est clair que la nation dont la langue serait reconnue comme universelle, acquerrait des avantages économiques, culturels et politiques sur les autres. Mais l’inertie et l’esprit conservateur des gouvernants de presque tous les pays empêche encore que l’espéranto puisse devenir la langue auxiliaire mondiale".

La question des langues n’est que rarement la cause directe de conflits, mais elle en est un des ferments.