Langues sans frontières - À la découverte des langues de l’Europe

Amoureux et curieux de la chose linguistique trouveront bien du plaisir à lire un ouvrage qui vient de paraître aux éditions Autrement (coll. Frontières) sous la signature de Georges Kersaudy et sous le titre :
Langues sans frontières
A la découverte des langues de l’Europe (1)

Sa place est tout indiquée non seulement dans leur bibliothèque, mais aussi dans les bibliothèques publiques, les centres de documentation et tous les autres lieux où se posent les questions de langues et de communication linguistique. Et pourquoi pas sur le bureau de Lang, prénommé Jack ?
Ce sera aussi un cadeau très apprécié par des amis proches ou lointains qui lisent ou parlent le français et qui s’intéressent aux langues. Il est souhaitable que sa lecture ne soit pas réservée qu’aux francophones, et que de nombreuses traductions voient le jour, et pas seulement dans les 39 langues européennes qui sont présentées.

Aux étudiants multilingues

Ancien fonctionnaire, expert, polyglotte passionné, Georges Kersaudy parle, écrit et traduit une cinquantaine de langues.
Son ouvrage se compose de trois parties :
Faits méconnus, idées reçues, aspects nouveaux.
Problèmes et solutions, méthodes d’apprentissage.
Vocabulaire parallèle de 39 langues d’Europe.
La première curiosité est la dédicace en deux langues dont la première suscitera probablement des interrogations :
"Al la multlingvaj gestudentoj
de la tria jarmilo".
"Aux étudiants multilingues
du troisième millénaire".
Traduction et interprétation
L’auteur évoque, entre autres, les problèmes et difficultés de la traduction.
Il cite une anecdote de 1945 qui attribue à l’un des premiers interprètes de conférences, un nommé Kaminker, une réplique pour le moins culottée à un orateur :
- mais, ce n’est pas ce que j’ai dit !
- non, mais c’est ce que vous auriez dû dire !
Au-delà de l’anecdote, et de l’aphorisme italien "Traduttore - traditore" (traducteur, traître), les cas bien réels et certains de traductions douteuses sont nombreux.
Premier président du Parlement européen (1952), Paul-Henri Spaak avait déclaré : "Les interprètes nous font dire ce qu’ils veulent". C’est précisément pour cette raison que l’explorateur norvégien Thor Heyerdhal avait fait cesser la traduction de son ouvrage sur l’expédition du Kon-Tiki en français. La première édition d’un document aussi essentiel que le Traité de Maastricht (253 pages) dut être détruite à cause de la traduction qui laissait à désirer.

Réveil tardif

Au moment où le Parlement européen est confronté aux problèmes de communication linguistique, et où il faut rester vigilant face à toute tentative de putsch linguistique de la Commission européenne de Bruxelles qui instaurerait la dictature de l’anglais comme langue unique politiquement correcte, la parution de cet ouvrage est particulièrement bienvenue. L’auteur y interpelle les milieux politiques (p. 253) : "Les pouvoirs publics de la plupart des grands pays d’Europe restaient étrangement sourds et aveugles devant un phénomène qui doit inévitablement apporter un jour la solution de leurs problèmes linguistiques. C’est seulement maintenant, à la 23e heure, qu’on commence à prendre conscience de cette réalité..."

Voilà qui donne matière à de bonnes questions alors que s’amorce en France la recherche du président qui lave plus blanc !

Vite et bien !

Dans un chapitre intitulé "L’apprentissage des langues : un ridicule épouvantail", l’auteur rappelle quelques principes utiles comme : "une langue doit s’apprendre vite et bien" ou "il faut apprendre la grammaire par la langue et non la langue par la grammaire". Ils sont d’ailleurs valables aussi pour une langue vivante considérée en 1924 comme "un chef d’oeuvre de logique et de simplicité" par 42 savants de l’Académie des Sciences, un avis repris ici sans guillemets pour sa grammaire. Quelle langue ?

"... devant un phénomène"

Les chapitres 23 et 24 sont consacrés à ce "phénomène" sous les titres : "La solution de la langue internationale" et "L’espéranto en une heure". C’est un excellent condensé de sa grammaire en six pages. Des exemples de textes officiels du Conseil de l’Union européenne sont donnés dans ses 11 langues et en espéranto. Des tableaux comparatifs montrent la parenté de l’espéranto avec les langues latines. A titre de curiosité, la comparaison aurait été intéressante aussi dans le tableau des langues germaniques pour des radicaux tels que, par exemple, "cheveux", "vin" ("gwin" en breton et en gallois, langues celtiques).

français anglais allemand neerlandais suédois
cheveu hair Haar haar hår
vin wine Weine wijn vin
danois norvégien islandais espéranto
hår hår hár haro
vin vin vín vino

Après avoir lu et entendu pendant des décennies que l’espéranto n’est pas une langue, que c’est un code, qu’il est artificiel, qu’il n’a pas de littérature, pas d’histoire (1), qu’il est tombé en désuétude, voire même que c’est une secte, etc., bien des citoyens, et d’abord les usagers de l’espéranto, seront époustouflés de découvrir que cette langue soit (enfin !) ainsi traitée avec objectivité, sans préjugés et en connaissance de cause par quelqu’un qui sait de quoi il parle.
L’Estonien Paul Ariste s’estima toujours redevable envers l’espéranto pour l’avoir rencontré dans son enfance et pu devenir un éminent linguiste, l’un des plus grands polyglottes de l’histoire de l’humanité.
Ceux qui, sans même s’interroger sur la vocation et le rôle spécifique d’une langue internationale, font barrage à l’espéranto en justifiant leur refus de l’introduire dans l’enseignement par une prétendue "absence de support littéraire, historique ou géographique comparable à ceux d’une langue classique ou vernaculaire" (2) devront réviser leur jugement sous peine de se discréditer.

Henri Masson



1. Prix : 22,71 euros (149 FRF). 384 pages de format 19x25 cm.
Un ouvrage en partie consacré à l’espéranto paraîtra sous la signature de l’historien Jean-Claude Lescure.
2.Argument repris par tous les ministres de l’Éducation nationale depuis Jospin (1988) jusqu’à Lang en passant par Rocard (l’un des initiateurs d’une proposition de loi de 1979 pour l’enseignement de l’espéranto !), Allègre et bien d’autres dont l’Histoire ne retiendra pas les noms. Il n’y a donc pas que la surdité ; il y a aussi l’amnésie.