Le nationalisme en question

Publié le dimanĉo 11a aŭgusto 2002 par admin_sat

En 1914, Zamenhof avait refusé de prendre part au premier congrès de la Ligue Mondiale des Espérantistes Juifs qui devait se tenir à Paris. Il s’était ainsi justifié :

"Je ne peux malheureusement pas vous donner mon adhésion. Suivant mes convictions, je suis "homarano" (membre de l’humanité) et ne peux adhérer aux objectifs et aux idéaux de quelque groupe ou religion que ce soit... Je suis profondément convaincu que tout nationalisme ne peut apporter à l’humanité que de plus grands malheurs et que le but de tous les hommes devrait être de créer une humanité fraternelle. Il est vrai que le nationalisme des peuples opprimés - en tant que réaction naturelle de défense - est bien plus pardonnable que celui des oppresseurs ; mais si le nationalisme des forts est ignoble, celui des faibles est imprudent... L’un engendre l’autre et le renforce, et tous deux finissent par créer un cercle vicieux de malheurs dont l’humanité ne sortira jamais à moins que chacun de nous ne sacrifie son propre égoïsme de groupe et ne s’efforce de se placer sur un terrain tout à fait neutre... C’est pourquoi - bien que je sois déchiré par les souffrances de mon peuple -je ne souhaite pas avoir de rapports avec le nationalisme juif et désire n’oeuvrer qu’en faveur d’une justice absolue entre les êtres humains. Je suis profondément convaincu que, ce faisant, je contribuerai bien mieux au bonheur de mon peuple que par une activité nationaliste...

Fondateur de SAT, Lanti s’est aussi exprimé dans un ouvrage publié à Leipzig en 1930 sous le titre "Naciismo" (nationalisme) :

"Le nationalisme est même la seule religion qui exige encore de l’homme le sacrifice de la vie.
Après des siècles de lutte, les hommes ont acquis dans les pays plus ou moins cultivés le droit d’appartenir ou non à une église, la liberté d’assister ou non aux cérémonies religieuses. Mais nul ne peut refuser impunément de participer aux cérémonies sanguinaires, les guerres, auxquelles les divers nationalismes donnent lieu.

Le patriotisme est actuellement la plus puissante idéologie ; il domine passionnément les esprits et est capable de faire d’hommes paisibles, cordiaux, des bêtes agressives et avides de sang.
Les quinze millions de tués de la dernière guerre mondiale n’ont pas suffit pour rassasier le monstre. Le nationalisme menace durablement l’humanité."
Il est connu que des empires industriels tiraient les ficelles du nationalisme lors de la première guerre mondiale. Après la seconde guerre mondiale, le président Eisenhower avait averti contre les risques que faisait courir le rôle croissant du complexe militaro-industriel. La recherche et l’industrie sont de plus en plus inféodées à des ministères que l’on dit de la défense de gouvernements eux-mêmes plus où moins inféodés aux milieux d’affaires. Il y a donc en cela une menace contre la démocratie, donc contre la paix.

Ceux pour qui la guerre est bénéfique misent sur l’exacerbation des sentiments nationalistes et religieux ainsi que sur le racisme. D’autres racines des conflits se trouvent dans le culte du profit qui conduit des peuples à une course au superflu. Aveuglés par un conditionnement qui les pousse à consommer sans mesure et à gaspiller, à parader dans la foire aux vanités, les peuples des pays industrialisés perdent toute conscience du véritable pillage des ressources du Tiers Monde auxquels se livrent leurs gouvernements menés par des milieux d’affaires sans scrupules. Une fraction importante de l’humanité vit dans un état de désolation extrême. Des populations sont ainsi poussées soit vers la fuite et l’émigration, soit vers l’acte de désespoir qui consiste à suivre n’importe quel démagogue qui leur donne un semblant d’espoir.

Le 4 décembre 1972, devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, le président Salvador Allende avait cité l’un des premiers présidents des États-Unis qui avait dit : "Les marchands n’ont pas de patrie. Peu leur importe où ils sont. Tout ce qui les intéresse, ce sont les bénéfices qu’ils obtiennent". Et c’est un fait que certaines multinationales sont de plus en plus fréquemment impliquées dans des affaires louches et des conflits qui touchent des pays du Tiers Monde.

La quasi totalité de ceux qui ont été tués par faits de guerre l’ont été par des inconnus. Dans d’autres circonstances et conditions, ils auraient pu être sinon des amis, tout au moins des hommes avec lesquels ils auraient pu avoir des relations paisibles. S’ils avaient pu se comprendre, ils auraient peut-être même pu s’entendre et parvenir ensemble à des réalisations qui auraient fait avancer l’humanité sur la voie d’un progrès à visage humain.

Voici quelques années, des recherches menées à l’Université de Harvard par le professeur Scrolin et le lieutenent-général Galowin avait abouti à une statistique dans laquelle la France venait en tête parmi les pays impliqués dans des guerres avec 187, contre 179 pour l’Angleterre. Viennent ensuite la Russie : 151, l’Autriche : 131, l’Espagne : 75, l’Italie : 32, l’Allemagne : 24, justement ce pays que l’on qualifiait, de notre côté, de belliciste et revanchard... L’adage "Si tu veux la paix, prépare la guerre" a toujours été pratiqué, et la guerre a tué plus de trois milliards et demi d’êtres humains. Si l’effort de guerre a évité des conflits, il en a aussi différé ou retardé d’autres qui n’en ont été que plus meurtriers et dévastateurs lorsqu’ils ont éclaté. Sagement, Georges Brassens, qui a immortalisé cette ville de Brive-la-Gaillarde, suggérait en chanson de changer l’ennemi en ami.

Les tyrans préfèrent voir le doute s’orienter vers un ennemi imaginaire plutôt que vers eux-mêmes. La désignation d’un tel ennemi a été maintes fois utilisée comme moyen de détourner l’attention des peuples des véritables responsables de leurs malheurs.

Le mur des langues est le meilleur serviteur et allié de ceux qui n’ont pas la conscience tranquille. Les régimes d’Hitler et de Staline, pour ne parler que des plus connus, se sont farouchement opposés à l’espéranto de la même manière que des gouvernements totalitaires ferment de nos jours leurs frontières, entravent les communications et interdisent les antennes paraboliques. A l’inverse du mur de Berlin, le mur des langues n’a pas encore été démoli. S’il demeure invisible, il n’en est pas moins efficace. La barrière des langues empêche l’échange d’informations, leur vérification et leur comparaison.

L’efficacité de l’espéranto n’avait pas échappé à Goebbels, le ministre de la propagande d’Hitler. A Reynard Heydrich, le remplaçant d’Himmler comme chef de la police politique, qui lui demanda la dissolution de toutes les associations d’espéranto et la confiscation de leurs biens, Goebbels répondit prudemment, le 23 octobre 1935 : "Parmi les millions d’adeptes de l’espéranto à l’étranger, il s’en trouve certainement un très grand nombre qui sont apolitiques et qui ne voient la promotion de l’espéranto qu’en tant qu’idée. Pour une activité à leur avis tout à fait anodine, telle que l’est certes l’apprentissage d’une nouvelle langue, ces gens recevront l’impression que de telles associations sont persécutées même en Allemagne. Les innombrables pamphlets que les unions d’espéranto diffusent à travers le monde montreront naturellement cet avis. La presse étrangère utilisera cette occasion pour faire de la propagande contre l’Allemagne".
Goebbels voulut donc éviter une interdiction officielle et brutale. Il conseilla d’amener les associations à une dissolution volontaire par "une légère pression facile à atteindre" (entre guillemets).

L’opposition impitoyable des régimes d’Hitler et de Staline, mais aussi de Salazar, Ceaucescu, Kim Il-Sung et bien d’autres à l’espéranto était dans la logique de leurs systèmes et principes de gouvernement. Pourtant, des régimes qui se réclamaient et se réclament de la démocratie, et qui ont rappelé à notre bon souvenir le cinquantième anniversaire de la "Déclaration Universelle des Droits de l’Homme", lui ont opposé des tabous et un barrage de la langue de bois tout aussi efficaces.

Zamenhof a offert au monde une langue qui, dans son esprit, préfigurait celui de la "Déclaration Universelle des Droits de l’Homme". Or, sa progression a été entravée essentiellement par des atteintes aux droits de l’homme. S’il est vrai que l’espéranto ne peut pas être considéré à lui seul comme le moyen d’amener les hommes à vivre en paix, il représente néanmoins un atout réel parmi d’autres. Il est indéniable que Zamenhof a voulu faire de l’espéranto un instrument de culture de la Paix en même temps qu’une langue internationale.
Inventeur du moteur à combustion interne, Rudolf Diesel pensait effectivement que l’espéranto proposait bien plus qu’une langue pratique : "Je considère cette langue du point de vue de l’ingénieur dont les efforts s’orientent vers l’économie d’énergie... Le but de l’espéranto est d’économiser du temps, de l’énergie, du travail, de l’argent et d’accélérer, simplifier les relations internationales. De ce point de vue, il est difficile de comprendre les oppositions, telles qu’elles apparaissent encore contre l’adoption d’une chose si utile pour l’humanité. Je considère l’espéranto comme une nécessité pour la paix et la culture."

L’avantage de cette langue se trouve dans le fait qu’il n’en est aucune autre qui puisse être apprise aussi rapidement, y compris par des personnes qui n’ont pas la chance de poursuivre leurs études, qui disposent de trop peu de temps ou qui n’ont pas les moyens de s’offrir des séjours linguistiques.

Homme de science et membre de l’Académie Impériale du Japon, secrétaire général adjoint de la Société des Nations, Inazo Nitobe avait participé au congrès universel d’espéranto de Prague en 1921 pour se rendre compte par lui-même de l’efficacité de cette langue. Dans un rapport publié en 1922, il écrivit : "On peut affirmer avec une certitude absolue que l’espéranto est de huit à dix fois plus facile que n’importe quelle langue étrangère et qu’il est possible d’acquérir une parfaite élocution sans quitter son propre pays. Ceci est en soi un résultat très appréciable."