LeDevoir.com - 21 novembre 2009 - Claude Hagège : pour la survie de Babel

LeDevoir.com publie le 21 novembre à l’occasion de la parution de son "Dictionnaire amoureux des langues" un article sur Claude Hagège comprenant une partie sur sa position relative à l’espéranto comme "langage commun pour permettre la communication entre les peuples".

Claude Hagège : pour la survie de Babel

Il a du bagout, le linguiste Claude Hagège. En entrevue, il pose à la fois les questions et les réponses, semble pouvoir parler durant des heures de son principal sujet d’étude, qui lui vaut ces jours-ci de signer un livre dans la très belle collection des dictionnaires amoureux, qui paraît chez Plon/Odile Jacob, Le dictionnaire amoureux des langues.

L’homme, qui est l’un des invités d’honneur du Salon du livre de Montréal, sait de quoi il parle. Polyglotte, il a voyagé de par le monde pour comprendre et traduire des langues tribales jusque-là méconnues. Pour lui, toutes les langues sont belles, parce que toutes peuvent exprimer la diversité du monde. En principe. Car s’il y a une langue que le professeur Hagège attaque, c’est bien l’anglais. Et il l’attaque entre autres parce que cette langue, par son hégémonie, est en partie responsable, avec l’espagnol, de la disparition de quelque 25 langues par an de la surface de la Terre. Une langue disparaît, explique-t-il, quand il y a faute de transmission aux enfants de ses locuteurs, et quand ses locuteurs, devenus vieux, sont sur le point de mourir. Et la disparition d’une langue, c’est aussi la disparition de l’expression d’une culture.

L’anglais, il l’attaque aussi parce que c’est la langue des pays industrialisés, les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Afrique du Sud. Or, plutôt que de traduire les mots liés à la technologie que l’on importe de ces pays, ou encore d’inventer de nouveaux mots qui leur correspondent, on se contente souvent de les importer dans notre langue. Il est pourtant toujours possible pour une langue d’inventer de nouveaux mots pour s’adapter à un nouvel environnement. Il salue d’ailleurs les efforts du Québec en la matière, et accueille un mot comme courriel, tellement juste, en traduction de l’anglais e-mail.

Esperanto

Car Claude Hagège, qui a souvent dû utiliser d’abord une langue véhiculaire avant d’apprendre la langue d’un peuple auquel il s’intéressait, reconnaît bien la nécessité pour les peuples d’utiliser parfois une langue commune. En fait, il regrette qu’une langue comme l’esperanto, qui visait précisément à créer un langage commun pour permettre la communication entre les peuples, ait été supplantée par l’anglais, à la faveur du rôle des Américains dans les deux grandes guerres mondiales qui ont déchiré l’Europe au XXe siècle.

L’esperanto n’est pourtant pas mort, dit-il. En fait, selon Wikipedia, il compte de un à deux millions de locuteurs de par le monde. Mais il ne remplit manifestement pas les objectifs que lui avait fixés son inventeur, l’ophtalmologue juif polonais Ludwik Lejzer Zamenhof. Pourtant, contrairement à l’anglais, l’esperanto n’exprimait pas l’influence de tout un peuple, en l’occurrence le plus puissant, sur l’ordre mondial.

Ce qui n’exclut pas, bien sûr, que les langues aient de tout temps été sujettes à des invasions. En fait, si Claude Hagège considère qu’une lan-gue n’a pas besoin d’être écrite pour exister comme langue, une certaine définition sociologique identifie comme langue les langages qui peuvent s’écrire, qui s’utilisent dans des lieux de pouvoir, et qui ont fait l’objet d’une normalisation. On trouve autour de 6000 langues écrites et non écrites sur terre tandis que quelque 4500 répondent à la seconde liste de critères.

Finalement, en plus de la position politique sur la scène mondiale que les États-Unis ont acquise après la Deuxième Guerre mondiale, l’anglais est actuellement servie par un système de communication qui n’a évidemment jamais été égalé auparavant. Quelque chose qui joue contre la survie de Babel.

Source : http://www.ledevoir.com/culture/liv...