Liberté et égalité en dignité et en droits...

Publié le dimanche 11 août 2002 par admin_sat

L’article 1er de la "Déclaration Universelle des Droits de l’Homme" stipule que :

"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité."

L’information sur les enjeux de la communication linguistique laisse trop souvent entendre qu’en dehors de l’anglais, il n’est point de salut, qu’il faut se résigner.

Il est indéniable que le monde a besoin d’une langue universelle. Même le premier ministre Lionel Jospin l’a reconnu à Hong Kong en 1998, mais en se trompant et en trompant le monde sur la nature d’une langue universelle, en laissant entendre que l’espéranto appartenait au passé et qu’il n’y avait plus qu’à se résigner à apprendre l’anglais. Bien avant lui, d’autres hommes politiques avaient perçu l’idée même d’une langue universelle dans laquelle et par laquelle se serait concrétisé l’esprit de l’article cité de la DUDH.

Président et fondateur de la Yougoslavie, Josip Broz Tito (1892-1980) avait appris l’espéranto en prison. Il avait déclaré : "Je pense que l’espéranto peut fortement contribuer à la réalisation des buts de l’UNESCO et de manière générale au rapprochement des peuples divers. L’égalité des droits, l’un des principes fondamentaux des Nations Unies, doit être valide aussi pour la question des langues. Des grands peuples aspirent à imposer leur langue aux petits peuples. Actuellement, beaucoup d’hommes dans le monde parlent l’anglais, mais ceci n’a aucun lien avec la question de langue internationale. En effet, l’espéranto est à cet égard neutre, il a un caractère universel".
C’est un fait que, malgré la tourmente qui s’est abattue sur l’ex-Yougoslavie, l’espéranto y conserve des racines vivaces comme l’atteste la tenue d’un congrès universel à Zagreb (2001).

Artisan du relèvement des Pays-Bas après la seconde guerre mondiale comme premier ministre, Willem Drees était adhérent de l’association d’espéranto qui, pour les pays nederlandophones, équivalait à SAT-Amikaro pour la diffusion de l’espéranto dans les pays d’expression française. Il en avait donc parlé en connaissance de cause : "Nous devons enfin avoir une langue commune pour l’utilisation internationale et, aussi séduisante que puisse paraître l’idée de choisir pour cette langue internationale l’une de celles qui sont déjà parlées par des centaines de millions d’hommes, je suis malgré tout convaincu qu’une langue neutre comme l’espéranto - devant laquelle tous les hommes se trouvent égaux en droits - est préférable".

Ministre de l’éducation d’Estonie, Ferdinand Eisen fut la bête noire des Soviétiques. La pratique de l’espéranto l’avait amené, lui aussi, à percevoir les avantages d’une telle langue : "L’enseignement et la diffusion de l’espéranto aident ensemble à une meilleure compréhension entre les peuples, à l’accroissement de la communication entre les jeunes de divers pays, à leur éducation dans l’esprit de l’internationalisme, dans l’esprit de compréhension et d’estime des autres cultures".
Deux fois réélu à la présidence de la République d’Autriche, Franz Jonas (1893-1974), avait appris l’espéranto lorsqu’il était jeune. En 1970, dans le discours d’ouverture du congrès universel d’espéranto qui se tint à Vienne et qu’il prononça en espéranto, il rappela les réalités d’une politique de communication linguistique inadaptée à une époque moderne : "Bien que la vie internationale devienne toujours plus intense, le monde officiel perpétue les vieilles et inadéquates méthodes de compréhension linguistique. Il est vrai que la technique moderne contribue à faciliter la tâche des interprètes professionnels lors des congrès, mais rien de plus. Leurs moyens techniques sont des jouets inadaptés par rapport à la tâche d’ampleur mondiale à accomplir, c’est-à-dire s’élever au-dessus des barrières entre les peuples, entre des millions d’hommes."
Trente ans plus tard, faute d’avoir prêté attention à ces remarques, le problème demeure.
Francophile, l’ex-présidente de la république d’Islande, Mme Vigdis Finnbogadottir, avait elle-même averti contre des risques réels : "Il est temps déjà que les diverses nations comprennent qu’une langue neutre pourra devenir pour leurs cultures un véritable rempart contre les influences monopolisatrices d’une ou deux langues seulement, comme ceci apparaît maintenant toujours plus évident. Je souhaite sincèrement un progrès plus rapide de l’espéranto au service de toutes les nations du monde". Elle ne fut pas mieux entendue. Le français est de plus en plus mis à l’écart sur la scène internationale, et, ce qui est plus grave, il est même menacé dans le pays qui en fut le berceau. Les "influences monopolisatrices" sont donc celles d’une langue qui, quoi qu’on en dise, est bel et bien une langue étrangère dans laquelle ne sont vraiment à l’aise que les natifs, ceux qui sont tombés dans la marmite".

Académicien, philosophe, historien des Sciences, professeur à Paris et à l’Université de Stanford, Michel Serres avait déclaré à "L’Est Républicain" (26 décembre 1993), à propos du problème de défense de la langue française : "Tout cela est notre faute mais ça peut se réformer très vite. Il suffit que le peuple qui parle français se révolte contre ses décideurs. Moi, je suis du peuple, ma langue est celle des pauvres. J’invite les pauvres à se révolter contre ceux qui les obligent à ne rien comprendre."

Même s’il s’agit de révolte sans violence, constructive, il importe de ne pas se conduire comme des moutons de Panurge face à l’apologie qui est faite ci et là de l’anglais. Ce n’est pas faire de l’anglophobie ou de l’anti-américanisme que de dire ça : c’est inviter à réfléchir. Ce qui compte, c’est l’intérêt de toute l’humanité, dans lequel est inclus celui des États-Unis.

Prix Kalinga de vulgarisation scientifique, la célèbre anthropologue américaine Margaret Mead avait plaidé pour une culture mondiale, ce qui n’a rien à voir avec une américanisation du monde : "Nous sommes arrivés au point où chaque pays est mis en danger chaque fois qu’un désastre s’abat sur l’un quelconque des autres pays. Il faut donc convertir cette interdépendance effrayante en un type de relations qui procure sécurité et joie de vivre". Il faut évidemment se garder de dénigrer systématiquement les États-Unis, et bien faire la différence entre, d’une part, le peuple - même s’il est en partie consentant - et d’autre part ceux qui font de ce pays non seulement le plus pollueur de l’environnement mais aussi un grand pollueur des esprits. Il y a danger pour le monde entier lorsque les citoyens du pays le plus puissant sont conditionnés à croire que tout ce qu’il fait est conforme à l’esprit de justice et de liberté, alors que cette liberté devient en fait celle du renard dans le poulailler.
Dans son livre "Face au néant", l’écrivain de langue anglaise Arthur Koestler a fait allusion aux recherches de Margaret Mead selon laquelle 750 langues différentes étaient parlées dans 750 villages de Nouvelle Guinée, et tous ces villages étaient en guerre permanente entre eux. Dans ce même ouvrage, Koestler en venait à cette constatation : "Il semble encore plus étrange que, mis à part quelques espérantistes résolus, ni l’UNESCO ni aucun organisme international n’ait accompli un sérieux effort pour promouvoir une langue universelle".

Dans une culture de la Paix, il y aurait effectivement lieu de commencer par une langue face à laquelle les citoyens pourront s’estimer égaux en droits et par laquelle ils acquerront un sentiment d’appartenance à cette entité plus vaste qu’est l’humanité. Ils accéderont ainsi progressivement à une conscience mondiale de même que l’on est passé aux stades d’une conscience de la famille, de la cité, puis de la nation. Plutôt qu’un monde uniformisé à l’américaine et qui ne se reconnaîtra jamais dans ce modèle, veillons plutôt à une harmonisation de la diversité. Peut-être serait-il finalement plus réaliste de chercher les moyens de mondialiser les États-Unis pour le bien de tous plutôt que de laisser s’opérer une américanisation du monde.

La domination de l’anglais est l’un des éléments qui mènent vers un écart croissant entre pays riches et pauvres, donc d’autant plus lourd de menaces. Même en France, la connaissance de la langue la plus enseignée, pour l’enseignement de laquelle les moyens sans cesse accrus sont de loin les plus importants jamais atteints, le bilan demeure pitoyable. Véronique Radier écrivait dans "Le Nouvel Observateur" (9-15 mars 2000) : "Seule une frange de 10%, constituée des meilleurs élèves, a amélioré son score, et l’on assiste à une grande sélection par l’argent". Plus loin, elle cite Laure Mounier, responsable en France du Toeic (Test of English for international communication) : "Nous percevons très nettement la différence de niveau entre les étudiants dont les parents ont pu payer des séjours linguistiques ou un soutien particulier et autres".
Or, quand nos élèves ont déjà tant de mal à accéder à la maîtrise de l’anglais, peut-on raisonnablement croire que la solution du problème se trouve dans l’apprentissage de plusieurs langues, pour lequel le temps consacré à chacune d’elles sera forcément d’autant plus réduit qu’elles seront nombreuses ? Ne les conduisons-nous pas au contraire à une confusion et une imprécision de plus en plus grandes ? N’allons-nous pas vers une aggravation des déséquilibres, vers une babélisation croissante ? Une écologie des langues du monde apparaît effectivement comme une urgence.

En Inde, malgré 347 années de présence britannique, l’anglais n’est maîtrisé que par 1% de la population, et l’analphabétisme touche environ 35% d’hommes et 62% de femmes. Là et ailleurs, il serait intéressant de savoir quelles parts du budget de l’éducation vont respectivement à l’enseignement de l’anglais et à l’alphabétisation.

De l’aveu du ministre de l’éducation d’Iran, au plus fort de l’influence américaine, en 1976, les étudiants iraniens étaient incapables d’écrire ou de prononcer une seule phrase d’anglais après sept années d’étude. Rien que pour cette année 1976, le coût s’élevait à 400 millions de dollars pour l’enseignement des langues qui représentait lui-même 1/5 du budget de l’éducation. Face à cela, le témoignage de Behrouz Soroushian, un étudiant iranien actuellement en Sorbonne pour apprendre le français, mérite réflexion. Il m’écrivait voici quelques semaines, dans un bon espéranto appris en quelques mois : "L’espéranto est une planche de salut. Il est très facile et, en outre, précis. Il m’a été possible d’écrire des articles pas trop mauvais après 5 mois d’étude de l’espéranto, ce que je ne peux pas faire après 15 années d’étude de l’anglais".

En réponse à une enquête de la BBC auprès de ses auditeurs sur l’anglais comme langue officielle de l’Union européenne (37% contre et 63% pour), en juin 1998, Kin Hiongun, chercheur coréen, avait écrit : "En Corée, nous avons dépensé des sommes énormes d’argent pour apprendre l’anglais. En calculant d’après mon expérience personnelle, j’aurais pu obtenir cinq doctorats si je n’avais pas été obligé d’apprendre l’anglais".

Directeur d’une société japonaise implantée aussi en Corée, à Taïwan et en Chine, Etsuo Miyoshi m’écrivait récemment qu’il avait appris l’anglais et le coréen et qu’il avait renoncé à apprendre d’autres langues mis à part l’espéranto. Après avoir subi le tremblement de terre de Taïwan, il avait pris conscience du problème de l’impossibilité de se comprendre et de se faire comprendre lors de catastrophes de quelque nature que ce soit. Le "Yomiuri-Shinbun" (29.01.2000), premier quotidien du Japon et l’un des plus forts tirages au monde avec 10 500 000 exemplaires, avait publié son témoignage dans lequel il soulignait qu’il était plus à l’aise en quelques mois d’étude de l’espéranto qu’en anglais pour lequel il a peiné durant de nombreuses années.