Masochisme planétaire

Publié le merkredo 12a januaro 2005 par admin_sat , mis a jour le sabato 12a marto 2005

Lorsque Charles Dickens avait écrit, en français, le 7 juillet 1850, dans une lettre à John Forster : “La difficulté d’écrire l’anglais m’est extrêmement ennuyeuse. Ah, mon Dieu !
si l’on pouvait toujours écrire cette belle langue de France !”, il était sans doute loin d’imaginer que certains s’efforceraient par la suite d’imposer l’anglais au monde et que d’autres subiraient ce sacrifice sans se poser de questions, et ceci alors que l’anglais est handicapant même en pays anglophones.

Certains de ceux qui subissent cette situation disent ne pas croire en l’espéranto alors qu’il s’agit d’une langue et non d’une croyance religieuse.

En fait, ce sont eux qui croient religieusement qu’il est impossible de s’en sortir, que tel est le destin. Inch’Allah ! Et ils freinent des quatre fers, comme des fous d’Allah ou des défenseurs de l’infaillibilité pontificale, pour que le règne de l’anglais ne soit pas remis en question, pour que la question d’une alternative
ne soit jamais mise à l’ordre du jour.

Une étude réalisée dans une quinzaine de pays par Philip Seymour, professeur en psychologie cognitive de l’Université de Dundee, en Écosse, a fait ressortir que les élèves Britanniques mettent deux à trois ans pour arriver à lire des mots simples quand les autres petits Européens atteignent le même résultat en un an seulement dans la leur : “le record de lenteur revient bel et bien aux anglophones” et, “au test de lecture, l’anglais remporte la palme de la langue la plus difficile” (Anna Lietti, “Le Temps”, Suisse,14.09.2001).

Le 16 mars 2001, la revue “Science” publiait le résultat de recherches sur la dyslexie. Cette difficulté de lecture touche environ un million d’enfants en France. Elle atteint plus fréquemment les élèves anglophones, un peu moins les
francophones et très peu les italophones. Il y a deux fois plus de cas aux États-Unis qu’en Italie. Est-ce un hasard si la dyslexie a été découverte et décrite pour la première fois, en 1895, par un chirurgien-ophtalmologiste anglais, James Hinshelwood ?

La raison se trouve dans la complexité graphique et phonétique de l’anglais qui a besoin de 1120 combinaisons de lettres (graphèmes)pour obtenir une quarantaine de sons (phonèmes) alors que le français a 190 graphèmes pour 35 phonèmes et que l’italien, langue claire et harmonieuse, se contente de 33 pour 25 phonèmes. Notons en passant que, sur ce plan comme sur bien d’autres, la langue qui se rapproche le plus de la perfection est l’espéranto avec 28 lettres pour 28 sons.

“Comme de nombreuses lettres ont une prononciation différente en anglais, le dyslexique se sent très insécurisé“, écrit Ingrid Paulsen.

Professeur d’anglais en Allemagne [1], elle a constaté des difficultés de différenciation auditive, de différenciation visuelle, d’erreurs dues aux troubles d’orientation spatiale et aux troubles séquentiels, par exemple l’inversion conduisant à transformer “god“ (Dieu) en “dog” (chien), et des difficultés de mémorisation de l’image du mot et de sa consonnance.

Le très renommé “Los Angeles Times” (31.03.2002) a signalé pour sa part l’apparition d’un autre phénomène ahurissant en Corée. De plus en plus de parents coréens font subir une opération chirurgicale à leurs enfants de moins de cinq ans pour qu’ils puissent mieux prononcer
l’anglais. Cette opération coûte de 230 à 400 dollars. Elle consiste à inciser le frein de la langue afin qu’elle puisse mieux s’allonger et devenir plus souple. Parler l’anglais tourne à l’obsession. Le charlatanisme se porte bien.

D’après le quotidien coréen “Dong - A”, “L’anglais est en train de faire de l’enfance un enfer”. Selon Jonathan Hills, qui enseigne cette langue sur la chaîne de télévision éducative nationale : “Apprendre l’anglais est devenu la religion nationale”... Il n’est pas rare que des
parents coréens contraignent leurs enfants de six mois à rester devant un téléviseur durant des heures pour regarder des cassettes vidéo d’enseignement de l’anglais.

Entre religion et exploitation éhontée du mystère, des superstitions, de l’irrationnel, des instincts, il n’y a que peu de place. Langue sans mystères, l’espéranto ne promet pas un paradis futur ou post mortem, mais la possibilité vérifiable de procurer vite et bien, et à
moindre coût, le moyen pratique d’accès à un vrai dialogue à tous les habitants de la planète.

Professeur de linguistique appliquée à l’université de Melbourne, Alastair Pennycook avait enseigné l’anglais à Hong Kong et en Chine pour gagner de l’argent. Il a fait part de ses observations dans deux ouvrages difficiles
à trouver autrement que par les librairies en
ligne : “The Cultural Politics of English as
an International Language
 [2], “English and the discourses of Colonialism [3]. Pennycook constate que, sans que les professeurs d’anglais en prennent conscience, l’enseignement de l’anglais tend à créer, si elle n’existe pas déjà, et à renforcer, une influence de type colonial
sur l’entité qu’elle vise. L’usage de l’anglais conduit dans la plupart des cas à des échanges sans profondeur, se limitant aux nécessités. Cette même constatation avait été
faite aussi, au Japon, par un citoyen espérantiste des États-Unis, Joel Brozovsky [4] : les gens
s’adressent à des natifs anglophones, dans un semblant d’anglais, essentiellement pour des questions d’affaires ou d’argent. Tout ce qu’il y a d’humain est rendu étranger par ce sabir.

Britannique, proposé pour le prix Nobel en 1998, William Auld est l’un des plus prestigieux écrivains en espéranto. Il avait écrit, dans “Pri lingvo kaj aliaj artoj” : “Je suis possesseur natif de l’une des ces « principales langues
vivantes » à laquelle quelques personnes attribuent la destinée de langue « internationale ».
Et je souhaite enfin noter publiquement le fait que je déteste écouter des étrangers qui, ayant consacré de nombreuses années à l’étude de cette langue, la malmènent, la distordent et la torturent. Ça m’agace déjà de choisir mon vocabulaire conformément aux capacités élémentaires de locuteurs ayant même assez « progressé », d’écouter, et de lire, leurs erreurs grammaticales grotesques et leur prononciation disgracieuse ; j’en ai déjà assez des conversations hésitantes, des malentendus directs des
deux interlocuteurs, des banalités dues à l’incapacité d’exprimer des pensées profondes en langue étrangère, de l’incompréhension de mes idiotismes et de la maladresse rigide des leurs.

Le 26 décembre 1993, "L’Est Républicain", avait rapporté une déclaration faite par Michel Serres, académicien, philosophe, historien des Sciences, professeur à Paris et à l’Université de Stanford, à propos du problème de défense
de la langue française : “Tout cela est notre faute, mais ça peut se réformer très vite. Il suffit que le peuple qui parle français se révolte contre ses décideurs. Moi, je suis du peuple, ma langue est celle des pauvres. J’invite les pauvres à se révolter contre ceux qui les obligent à ne rien comprendre.“ Il avait dit aussi qu’il y avait plus de mots anglo-américains sur les murs de Paris qu’il n’y avait de termes allemands durant l’Occupation.

Il est plus facile aujourd’hui de compter les publicités qui utilisent un fond sonore ou visuel en français qu’en anglais. En donnant du fumeur une image valorisante pour les simples d’esprit (cow-boy, bourlingueur, etc.), la pub a favorisé le tabagisme et transformé ainsi, parmillions à travers le monde, des personnes (des jeunes, de plus en plus de femmes) en loques humaines qui s’aperçoivent un peu tard, sur un lit d’hôpital, qu’elles en mènent moins large.
Aux États-Unis, c’est 150 000 morts par an : le World Trade Center multiplié par 49. Sans parler du coût social. Le terrorisme, Al Qaïda, c’est du menu bricolage face à l’industrie du tabac. L’État le plus coûteusement armé du
monde, facteur d’insécurité mondiale avec son industrie de mort, est totalement impuissant contre ce terrorisme discret, efficace, légalisé.

La pub se fout du monde. Et en anglais !

Remède possible : le boycott, en le faisant savoir aux marques qui jouent la carte du conditionnement, comme si l’anglais était signe d’intelligence, de modernité, de supériorité.

Quand la pub se fout du monde, c’est vital pour le monde de se foutre d’elle ! [5]

Henri Masson