Pa Kin l’espérantiste

Publié le jeudi 1er décembre 2005 , mis a jour le lundi 4 décembre 2006


Le pseudonyme littéraire Pa Kin est formé par la première syllabe du nom de Pa Enbo, en hommage à un ami chinois qui s’était suicidé lorsqu’il étudiait au collège de Château-Thierry, et de la dernière syllabe du nom de Kropotkine, en raison de la profonde sympathie qu’il éprouvait pour cet anarchiste et ses idées. Issu d’une famille riche, Pa Kin avait étudié à Paris, où il avait fait la connaissance de Hujucz avec lequel il noua une amitié indéfectible. Hujucz, une des plus grandes figures de l’espéranto en Chine, avait de très nombreuses relations dans le pays et à travers le monde.

Connu pour sa participation à la modernisation de la littérature chinoise, prix de "L’écrivain du peuple" en 2003, Pa Kin aura ainsi traversé un siècle d’histoire tumultueuse du pays le plus peuplé du monde. Paru en 1921, cet extrait de "Comment fonder une société véritablement libre et égalitaire ?" nous éclaire mieux sur sa personne : "Nous ne demandons qu’à vivre dans l’amour avec nos frères des autres nations, mais l’État, qui veut à tout prix faire de nous des patriotes, nous enrôle dans ses armées et nous force à assassiner nos voisins. Et, en Chine, c’est encore pire : ce sont des Chinois qui assassinent d’autres Chinois. Au Hunan, au Shaanxi ou au Sichuan, depuis quelques années, " le sang coule à flots et les cadavres s’entassent ". Quelle horreur ! Voilà donc les bienfaits que nous procure l’État."

Ce qui sera vraisemblablement passé sous silence dans certains médias traditionnels, c’est que la disparition de Pa Kin touche aussi le monde espérantophone. Son horreur de l’injustice et de la guerre aide sans doute à comprendre ses profondes affinités pour l’espéranto. En tant qu’espérantiste, il traduisit en chinois le roman "Printempo en autuno" de l’écrivain espérantiste hongrois Julio Baghy, brillant styliste en espéranto, qui avait lui-même dénoncé les horreurs de la guerre, entre autres dans "Viktimoj" et "Sur sanga tero". "Printempo en aŭtuno" lui inspira, comme par effet de miroir, "Aŭtuno en printempo", un titre dont la traduction ne semble pas plus nécessaire que celui de l’autre. Celui-ci figure dans une trilogie écrite aussi en chinois dont l’un des titres les plus connus au monde est "Famille".

Pa Kin avait commencé l’apprentissage de l’espéranto dans sa jeunesse, en 1921 et avait alors déjà écrit un article intitulé "Caractéristiques de l’espéranto". C’est en 1924, encouragé par l’idéal du Dr Zamenhof, qu’il s’engagea vraiment pour la Langue internationale. Les circonstances de la vie, et aussi la situation politique, l’éloignèrent assez longtemps de l’espéranto. Il fut inquiété durant la "Révolution culturelle", comme bien d’autres espérantistes chinois, tels que le poète Armand Su. Il fut vice-président de la Ligue chinoise d’espéranto dans les années 1980, puis devint membre honoraire du comité de patronage de l’Association universelle d’espéranto (UEA), dont le siège est à Rotterdam.

Pa Kin appartient à une classe d’écrivains chinois de grand renom, qui apportèrent leur soutien à la Langue internationale, tels que Chu-chan Yeh ou Lu Sin qui avait lui-même été marqué, comme Hujucz, par sa rencontre avec l’intrépide écrivain russe aveugle Vassili Erochenko. Erochenko enseigna l’espéranto à l’Université de Pékin, au début des années 1920, sur invitation de son recteur, Tsaï Yuanpeï, faisant suite à une recommandation de Lu Sin. Dans le gouvernement de Sun Yat Sen, en 1912, Tsaï Yuanpeï avait été le premier ministre de l’éducation au monde à décréter l’introduction de l’espéranto dans les écoles normales.

Autre rencontre très symbolique : un astéroïde, découvert par des scientifiques chinois, porte son nom, tout comme deux autres, découverts par un astronome finlandais, à qui ont été donnés les noms "Zamenhof" et "Esperanto".

Chaque nom cité pourrait conduire à longs développements, et à de nombreuses recherches.

Henri Masson

Article publié sur AgoraVox.