Petite philosophie simpliste

Publié le merkredo 22a februaro 2006

Publié en septembre 2005 chez Stock sous le titre “Nouvelle petite philosophie”, ce nouvel ouvrage d’Albert Jacquard vise à “rendre la philosophie vivante et accessible à des non spécialistes”, entre autres à propos “de notions dont quelques-unes appartiennent au programme des classes de terminale — totalitarisme, rationnel-irrationnel, violence, désir, citoyenneté, par exemple —, tandis que d’autres font partie des questions dont chacun entend parler tous les jours — bioéthique, écologie, femme, Internet, jeunesse, mondialisation, solidarité, etc..

Bonne idée, sauf quand la personne qui joue le rôle de professeur de philosophie, et qui exerce cette fonction dans un lycée d’Albi— Huguette Planès — apporte une réponse simpliste à un avis exprimé par l’éminent professeur. En page 229, Albert Jacquard estime en effet qu’”il serait judicieux de ne pas rendre obligatoire l’usage de l’anglais et de donner sa chance à l’espéranto”, ce à quoi Mme Planès répond : “Je ne partage pas ce point de vue. Une langue qui n’a pas d’histoire, une langue simple, ne serait pas véritablement une langue. La langue, c’est la pensée. Mais je suis d’accord pour dénoncer la suprématie de l’anglais.

Commentaire non seulement superflu, mais infondé. C’est tomber dans l’irrationnel et le simplisme que d’en arriver à une telle déduction. La suprématie de la langue de Bush a de beaux jours devant elle avec un tel raisonnement. La moindre des choses, pour traiter de philosophie, est de savoir de quoi l’on parle.
Or, la seconde phrase est l’expression du simplisme et surtout de la méconnaissance du sujet. Prétendre qu’une langue qui s’est enracinée depuis près de 120 ans, malgré des tentatives acharnées d’éradication, qui est devenue un fait socio-culturel, qui a démontré sa viabilité, qui s’est considérablement enrichie avec le temps, n’a pas d’histoire, c’est montrer que l’on ignore jusqu’à sa propre ignorance. Le professeur Umberto Eco a été lui-même amené à l’étudier pour préparer un cours au Collège de France sur “La recherche de la langue parfaite” (thème d’un ouvrage publié sous ce même titre en 1994) et il a reconnu qu’il s’agit d’“une langue construite avec intelligence et qui a une histoire très belle.

La langue et la pensée sont intimement liées, certes. Mais que dire de la langue du perroquet, lequel se contente de répéter ce qu’il a entendu dire et qui n’a pas assez de cervelle pour vérifier où sont le vrai et le faux ?

Si l’espéranto n’était pas une langue, pourquoi des stations radio de portée intercontinentale telles que Radio Chine Internationale ou Radio Pologne Internationale, ou aussi Radio Vatican, utiliseraient-elles quelque chose qui n’aurait pas le nom de langue et qui ne permettrait pas la pensée, la réflexion ? Une langue plus simple que les autres, dont l’histoire est certes différente de celle des autres, n’en est pas moins une langue. La dernière phrase aurait suffit, sans le “Mais”.

Dommage pour le professeur Jacquard, dont nous aurons sans doute bientôt l’occasion de reparler.