Qui a su renifler le pétrole ?

Publié le mardo 7a januaro 2003 par admin_sat , mis a jour le dimanĉo 8a aŭgusto 2004

"Le véritable or noir de la Grande-Bretagne n’est pas le pétrole de la Mer du Nord, mais la langue anglaise. Le défi que nous affrontons est de l’exploiter à fond". Ces propos du directeur du British Council, cités dans le rapport annuel 1987-1988 de cet organisme, montrent que les milieux gouvernementaux et d’affaires anglais ont effectivement su flairer l’"or noir" sans recourir à des avions renifleurs. Et même si cette réserve "pétrolifère" — l’immense flot de gens qui croient en l’anglais comme solution des problèmes de communication linguistique — coule à eux, ils n’hésitent pas à mettre la pression dans le sens des directives décidées en cachette en 1961 ("Anglo-American Conference Report").

Le rapport 1968-1969 du British Council montre d’ailleurs que la suite dans les idées ne faisait pas défaut : "Il y a un élément de commercialité dissimulé dans chaque professeur, livre, revue, film, programme télévisé, de langue anglaise envoyés au delà des mers. Si alors nous sommes en train de tirer un avantage politique, commercial et culturel de l’usage mondial de l’anglais, que faisons-nous pour maintenir cette position ?" (p.12)

Mieux encore : en 1971-72, avant l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, qui eut lieu le 1er janvier 1973, le British Council reçut 16% de crédits supplémentaires du gouvernement britannique.
Lancé en 1995, le projet "English 2000" définissait une ligne parfaitement claire : "exploiter le rôle de l’anglais pour faire avancer les intérêts britanniques en tant qu’étape de la tâche consistant à perpétuer et à étendre le rôle de l’anglais comme langue mondiale du siècle prochain."

Or, ni en 1961, ni en 1969, ni en 1972, ni en 1988, ni en 1995, notre "élite", nos politiciens, nos décideurs, nos élus, n’ont flairé quelque chose : ni le "pétrole", ni le piège !...

Finalement, l’annonce d’une réunion a donné l’occasion de soulever la question par un courrier électronique du 3 décembre adressé à Valéry Giscard d’Estaing, président de la Convention sur l’Avenir de l’Europe :

Monsieur le Président,
Lors de la réunion sur la Convention pour l’Avenir de l’Europe qui se tiendra le jeudi 5 décembre au Bureau du Parlement européen, il sera question d’un problème, et même d’un constat :

"La construction européenne actuelle est déséquilibrée : l’objectif du marché intérieur l’emporte sur tous les autres parce qu’il s’appuie sur des compétences exclusives de la Commission, tandis que les autres objectifs d’intérêt général s’appuient sur des compétences nationales."

Or, curieusement, je n’ai jamais eu le moindre écho sur une prise de position énergique et responsable, ni même d’une mise en garde de la Convention à propos de la politique linguistique qui est pourtant déterminante dans la construction d’une Europe ÉQUILIBRÉE.
Les citoyens des États membres de l’Union européenne ont été consultés par référendum lorsqu’il s’est agi d’adopter une monnaie unique et neutre, excluant tout avantage à un pays sur les autres. Or, sans le moindre débat, alors que la question de communication linguistique est autrement plus lourde de conséquences économiques, sociales, politiques et culturelles, force est de constater que tout est fait pour qu’un pays ne soit ni gêné ni entravé dans la démarche par laquelle il vise à contraindre, à son profit, tous les citoyens de l’Union européennes à parler sa langue.

Il y a moins de vingt ans, certains proclamaient encore haut et fort qu’il n’y aurait jamais de langue unique en Europe. Or, actuellement, avec la complicité du président de la Commission européenne, Romano Prodi, de technocrates et de politiciens serviles, l’anglais s’incruste insidieusement dans tous les rouages de ce qui, à l’encontre des désirs des peuples concernés, est en train de devenir un "machin" européen téléguidé depuis les États-Unis. Il ne faut jamais oublier non plus les écrits de David Rothkopf, l’auteur de "In Praise of Cultural Imperialism ?", qui, de par ses fonctions élevées de conseil dans les sphères de décisions étasuniennes, traduit bien les visées de celles-ci, à savoir que tout ce à quoi il donne le nom d’"Américains" doit "se sentir à l’aise" toujours et partout, y compris dans toutes les normes qui seront adoptées, et à commencer par la norme linguistique : l’anglais. Où est l’équilibre, où est la démocratie dans tout ça ?

L’annonce de la réunion du 5 décembre comporte aussi ces questions :
"Nous pensons nécessaire de progresser vers plus de compétences partagées sur l’intérêt général et la concurrence pour rééquilibrer.
Comment partager ces compétences ? Qu’est-ce-que cela implique ? Quels enseignements tirer des expériences fédérales dans le monde ?"

Parler de rééquilibrer en escamotant la question linguistique, alors qu’il s’agit bel et bien d’une question d’INTÉRÊT GÉNÉRAL, c’est se tromper et tromper tout le monde, c’est faire la part belle à un pays qui ne s’intéresse à l’Europe que pour la parasiter, puis la dominer.

Aussi, j’espère, Monsieur le Président, que vous mettrez tout en oeuvre pour que cette question ne soit pas éludée, pour qu’elle fasse l’objet d’un débat approfondi.

Je vous remercie pour votre attention.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération.

Henri Masson, Secrétaire Général de SAT-Amikaro

Coauteur, avec René Centassi, ancien rédacteur en chef de l’AFP, de "L’homme qui a défié Babel" (éd. L’Harmattan)

esperohm@club-internet.fr

Ce courriel est resté sans réponse, et aucun écho n’a retenti sur une éventuelle prise en considération de la question de communication linguistique dans l’Union européenne. Il existe des intentions évidentes : rendre la situation irréversible et mettre tous les peuples devant le fait accompli.

D’année en année, nous voyons les résultats désastreux d’une politique technocratique d’aménagement du territoire (inondations à répétition, éboulements, etc.). La politique linguistique qui se met en place aux niveaux européen et mondial conduira à quelque chose d’autrement plus catastrophique sur un plan global.
Soutenu par Churchill et le gouvernement anglais, le "Basic English" (British American Scientific International Commercial) a été mis à profit pour donner un faux air de simplicité à l’anglais. L’espoir de son auteur, Charles Kay Ogden, qui l’avait publié en 1930, était d’affaiblir les langues jusqu’à entraîner leur disparition, et de renforcer la position de l’anglais de telle façon qu’il n’y ait plus rien pour endiguer une langue qui, à l’inverse de ce que fût le latin, de ce qu’est l’espéranto, n’est pas neutre, une langue qui sert les intérêts d’une frange native anglophone de la population mondiale (8%) au détriment du plus grand nombre.