Syndicalisme et espéranto : rappels historiques

Publié le vendredi 29 septembre 2006

La Bellevilloise

La Bellevilloise, fondée aux lendemains de la Commune de Paris, sur les hauteurs de Belleville et de Ménilmontant, (Paris XIXe et XXe arrondissements) a été l’une des sociétés les plus représentatives et les plus célèbres du mouvement coopératif français. (...)
On pouvait y apprendre l’esperanto ou la dactylographie, pratiquer un sport ou chanter, s’initier au théâtre ou assister à un concert donné par de grands interprètes, emprunter des livres à la bibliothèque ou venir danser à l’occasion de nombreuses fêtes, assister à la projection du cuirassé Potemkine interdit par la censure ou suivre des conférences sur la tuberculose ou la guerre au Maroc, consulter un médecin ou se faire soigner les dents. Oeuvrant très tôt au côtés du parti socialiste , puis du parti communiste, La Bellevilloise fut un instrument particulièrement efficace de solidarité ouvrière et de socialisation politique. Son histoire mouvementée, retracée dans cet ouvrage, soulève des questions toujours d’actualité, entre autres : les économies sociales alternatives relèvent-elles de l’utopie ?

“La Bellevilloise « Une page de l’histoire de la coopération et du mouvement ouvrier français” (1877-1939), Meusy Jean-Jacques (dir.), éd. Creaphis. Présentation de l’ouvrage (extrait) par Christian Chevandier, Le Mouvement Social, Les Éditions de l’Atelier. Source :

Avec la crise, les difficultés de la Bellevilloise jusque-là plus ou moins masquées éclatent au grand jour. En mai 1936, elle disparaît. Des activités initiées dans son cadre ont perduré ensuite et cette “institution” populaire qui touchait à tous les domaines d’activités sociales (le patronage laïque pour les enfants et les adolescents, l’université populaire “La Semaille”, le sport ouvrier, le cinéma avec le groupe Spartacus, la musique et même l’espéranto) a laissé des souvenirs forts à ceux et celles qui y participèrent.
(La “Belle” de Belleville, par Jean-Louis Panne a/s de Jean-Jacques Meusy (dir.)
Source

En 1907, peu après la parution de l’ouvrage du grand géographe Élisée Reclus “L’Homme et la Terre”, des étudiants chinois éditaient à Paris le journal “La Nova Tempo” (Le Temps nouveau) en espéranto avec un contenu scientifique et anarchiste.

Pionnier et mécène de l’aviation et de l’automobile, Ernest Archdeacon s’était dit stupéfié, lors du congrès universel d’espéranto de Barcelone, en 1909, par la facilité avec laquelle les Catalans parlaient l’espéranto : “Je l’ai constaté auprès de simples ouvriers de Barcelone, espérantistes de fait, qui n’avaient ni le temps de participer au congrès, ni les moyens de verser une cotisation de dix francs pour y assister. Les espérantistes sont extrêmement nombreux dans le monde ouvrier de Barcelone”. (“Pourquoi je suis devenu espérantiste ?”, Fayard, 1910).

Homme de science et membre de l’Académie Impériale du Japon, Secrétaire Général adjoint de la Société des Nations, Inazo Nitobe (1862-1933) avait pour sa part assisté en observateur au congrès universel d’espéranto de Prague, en 1921, pour se faire une opinion personnelle sur l’efficacité de cette langue. Dans un rapport intitulé “Esperanto as an International Auxiliary Language“ publié en date du 28 juin 1922, et dont l’édition en français parut sous le titre “L’espéranto comme langue auxiliaire internationale“, il fit ainsi part de ses constatations : “On peut affirmer avec une certitude absolue que l’espéranto est de huit à dix fois plus facile que n’importe quelle langue étrangère et qu’il est possible d’acquérir une parfaite élocution sans quitter son propre pays. C’est en soi un résultat très appréciable […] Il faut avouer qu’on est frappé de l’aisance et de la rapidité avec laquelle les délégués de tous les pays s’expriment et se comprennent […] La discussion se poursuit avec une fluidité remarquable […] et l’on accomplit en trois jours une somme de travail qui aurait pris une dizaine de jours à une conférence ordinaire avec plusieurs langues officielles […] Il y a des orateurs qui sont éloquents en espéranto.

Président de la république d’Autriche de 1965 à 1974, Franz Jonas avait dit, dans un discours prononcé à Vienne en 1970 : “Bien que la vie internationale devienne toujours plus intense, le monde officiel perpétue les vieilles et inadéquates méthodes de compréhension linguistique. Il est vrai que la technique moderne contribue à faciliter la tâche des interprètes professionnels lors des congrès, mais rien de plus. Leurs moyens techniques sont des jouets inadaptés par rapport à la tâche d’ampleur mondiale à accomplir, c’est-à-dire s’élever au-dessus des barrières entre les peuples, entre des millions d’hommes“.

Presque en écho, un homme dont la valeur a été largement reconnue aux Pays-Bas, le premier ministre néerlandais Willem Drees, s’était lui aussi exprimé sur cette question : “Nous devons enfin avoir une langue commune pour l’utilisation internationale et, aussi séduisante que puisse paraître l’idée de choisir pour cette langue internationale l’une de celles qui sont déjà parlées par des centaines de millions d’hommes, je suis malgré tout convaincu qu’une langue neutre comme l’espéranto — devant laquelle tous les hommes se trouvent égaux en droits — est préférable.