Une autre idée de la Culture

Publié le mardi 15 mai 2001 par admin_sat , mis a jour le dimanche 8 août 2004

Diffusée en direct du Salon du Livre, dans le cadre de l’Année Européenne des Langues, l’émission « Concordance des temps » du 17 mars ne pouvait dévoiler, en une cinquantaine de minutes, qu’une bien petite partie d’une histoire aussi riche que celle de l’espéranto.

Historien, auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles pour des encyclopédies et des revues spécialisées, Jean-Claude Lescure enseigne l’histoire à l’Institut d’Études Politiques de Paris (Sciences Po) après y avoir obtenu un doctorat d’histoire et une habilitation à diriger des recherches.

Il enseigne également l’histoire à l’université de Grenoble. Il est actuellement l’historien le plus qualifié en France pour ce qui concerne les recherches historiques sur l’invention de langues internationales. Il a rédigé une thèse qui sera bientôt publiée.

« Fluctuat nec mergitur »

« Battu par les flots, mais ne sombre pas ».Telle est la devise que l’espéranto pourrait partager avec Paris.
L’émission a décrit, à travers des centaines de tentatives de création d’une langue internationale, le cheminement de cette recherche concrétisée pour la première fois par ce feu de paille linguistique que fut le volapük. Cet échec fut préjudiciable à l’idée d’une langue qui, mieux que le latin et les langues nationales, pas seulement pour les clercs, aurait permis à tous les hommes de bien se comprendre. Force est de constater qu’aucune langue au monde, ni nationale, ni inventée, n’a encore atteint cet objectif.

Né dans un climat de tourmente, l’espéranto n’a guère été épargné par les régimes totalitaires, mais les autres n’ont pas brillé pour autant. Certes, tout est politique, et une politique linguistique qui aurait introduit plus de limpidité dans les relations entre les peuples ne pouvait avoir la faveur de milieux politiques plus portés sur la langue de bois et la pêche en eaux troubles. Alors, certains ont fait et font encore circuler la rumeur d’un échec de l’espéranto.

Mais s’il y a « échec » , où est la réussite ?
Est-ce dans le bilan dressé en 1995 par la Commission des Affaire Culturelles du Sénat (rapport Legendre) qui faisait état d’une "hégémonie écrasante de l’anglais" (qui n’a cessé de s’aggraver), du "recul de l’allemand et de l’italien", du "naufrage lusitanien", de "la place résiduelle laissée à certaines langues de l’Union européenne, néerlandais, grec, langues scandinaves", de "la part restreinte réservée aux grandes langues de la planète, russe, chinois, japonais, arabe" et du "cercle des langues disparues qui tend à s’élargir" ?
Si c’est ça, leur « réussite », vive l’échec !

Chapeau l’espéranto !

La réussite n’existe encore nulle part : cela fait des décennies que l’on tourne en rond autour de ce problème. Personne n’a trouvé de solution valable parmi ceux à qui la parole a été largement accordée dans les médias jusqu’à ce jour. L’un des plus éminents linguistes du XXe siècle, André Martinet, ne voyait que deux candidats sérieux pour le rôle de langue internationale : l’anglais et l’espéranto. L’anglais a certes l’avantage d’être de loin plus répandu mais le désavantage d’exiger beaucoup de temps pour son apprentissage, or, le temps... c’est de l’argent. De plus, sa complexité graphique et phonétique conduit à un taux de dyslexie deux fois plus élevé aux États-Unis qu’en Italie parce qu’il lui faut 120 graphèmes (combinaisons de lettres) pour reproduire 40 sons (phonèmes) là où l’italien se contente de 33 pour reproduire 25 phonèmes. Le français est un casse-tête chinois avec 190 graphèmes pour 35 phonèmes.

Et l’espéranto ? 28 lettres pour 28 sons !
L’italien et l’espéranto sont nés d’une même démarche de Dante et de Zamenhof qui a consisté à puiser respectivement dans le stock existant de racines de divers dialectes d’Italie d’une part et de langues indo-européennes d’autre part.
Bien que nettement moins répandu que l’anglais, l’espéranto dispose d’autres atouts qui compteront de plus en plus : une simplification efficace qui rend son temps d’apprentissage ó donc le coût ó de huit à dix fois moindre que celui de l’anglais.


Préférence pour l’italien
Au Lycée Pierre Mendès-France de La Roche-sur-Yon, en Vendée, un sondage effectué par trois lycéennes, Julie Blais, Aurélie Pastor et Amélie Terrade , dans le cadre des Action professionnelles appliquées (préparation au BTS) dans divers établissements d’enseignement secondaire et supérieur, a montré que, s’il y avait une réelle possibilité de choix, 32% seulement des étudiants préféreraient l’anglais en premier, suivi par l’italien avec 24%, et l’espagnol (16%). En deuxième choix viennent l’espagnol (20%), l’italien (14%), l’allemand (11%), le chinois (9%), l’arabe (9%), l’anglais (8%)... En outre, 53% seraient intéressés par la découverte de l’espéranto et 49% pensent son introduction souhaitable comme enseignement facultatif, voire en option au baccalauréat.

L’espéranto au présent
Le présent n’a été que peu évoqué durant cette émission dont le principe consiste pourtant à mettre en parallèle et à comparer des faits historiques avec la situation présente. Mais le tout a été fort intéressant.
A l’heure où les techniques de communication permettent de se voir et de s’entendre depuis n’importe quel point du globe, la langue par laquelle tous les habitants de la planète pourraient bien se comprendre dans les meilleurs délais sort enfin de l’ombre dans laquelle elle a été maintenue.

L’espéranto n’est pas une langue assistée. Ce n’est pas à son chevet que se portent ceux qui le prétendent moribond. Sa vitalité est démontrée. Le texte d’une réflexion dont j’ai fait part à M. Jeanneney - avec des remerciements mérités pour la qualité de cette émission, ce pour quoi il m’a lui-même remercié pour cette « longue lettre riche en informations et en réflexion » - est placé sur les pages web de SAT-Amikaro.
L’espéranto est un sujet sur lequel il reste beaucoup à découvrir, à dire, à écrire.