Le pouvoir est au bout de la langue

Publié le lundi 27 août 2001 par admin_sat , mis a jour le lundi 23 août 2004

En ce qui concerne le problème de communication linguistique mondial, il est important de savoir au départ quel est l’obstacle que le monde politique n’ose pas franchir : l’opposition anglo-américaine absolue à toute "solution" autre que l’anglais est confirmée dans un livre intitulé "Linguistic Imperialism" (Oxford University Press, 1992, 374 p.) par le professeur Robert Phillipson (lecteur d’anglais et de pédagogie des langues à l’Université de Roskilde, Danemark). Il analyse en particulier l’"Anglo-American Conference Report 1961", document confidentiel destiné non point au grand public (rien n’est négligé pour éviter de le réveiller), mais au British Council. Il apparaît que la propagation de l’anglais ne vise pas seulement à remplacer une langue par une autre mais à imposer de nouvelles structures mentales, "une autre vision du monde" : "l’anglais doit devenir la langue dominante" ... "la langue maternelle sera étudiée chronologiquement la première mais ensuite l’anglais, par la vertu de son usage et de ses fonctions, deviendra la langue primordiale". "The report proclaims that the Center [of English] has a monopoly of language, culture and expertise, and should not tolerate resistance to the rule of English" (Le rapport proclame que ce Centre [de l’anglais] a le monopole de langue, de culture et d’expertise, et ne devrait pas tolérer de résistance contre le règne de l’anglais). "Si des Ministres de l’Éducation nationale, aveuglés par le nationalisme [sic] refusent.... c’est le devoir du noyau [dur ?] des représentants anglophones de passer outre" ("it is the duty of the core English-speaking representatives to override them").

Un article du "Guardian" (29.11.2001), qui reflète l’avis de la presse britannique, proclamait que "la solution la plus simple et la plus économique serait de n’utiliser que la langue anglaise". Cette évidence, pour les puissances anglophones, en cache une autre qui touche la totalité des peuples pour lesquels l’anglais n’est pas la langue maternelle, soit 92% de l’humanité. En effet, la totalité de l’effort , des coûts énormes et du temps accaparés pour enseigner l’anglais, donc lui donner une position de force, est à la charge de tous les pays non anglophones pendant que la totalité des profits colossaux et de l’économie de temps va essentiellement à deux puissances anglophones : séjours linguistiques en pays anglophones, rénumération de professeurs natifs anglophones dans le monde non anglophone, etc, sans compter les retombées économiques, diplomatiques et politiques du contrôle des fluxs d’échanges qui résulte de cette situation de monopole linguistique.
Dans une situation confortable pour exprimer leurs idées dans les conférences internationales ou les négociations complexes, sans hésitations ni maladresses, avec précision, les intervenants natifs anglophones accaparent la plus grande part du temps de parole pour faire triompher leur point de vue. Ainsi, A son retour du sommet de Kyoto, Dominique Voynet, ex-ministre de l’environnement, avait déclaré au "Journal du Dimanche" (JDD, 14 décembre 1997) : "Toutes les discussions techniques se sont déroulées en anglais, sans la moindre traduction, alors qu’il s’agissait d’une conférence des Nations unies. Trop de délégués ont été ainsi en situation d’infériorité, dans l’incapacité de répondre efficacement, de faire entendre leurs arguments".

La contrainte de publier des documents scientifiques et techniques en anglais permet aux puissances anglophones d’intercepter des découvertes et des inventions, et de les porter à leur propre compte (brevets), par exemple lors de la révision de manuscrits car les usagers de l’anglais (non-natifs) sont rarement capables de rédiger des documents et articles publiables dans cette langue sans aide de correcteurs.

Et comme toute peine mérite récompense, le reste du monde a le droit en prime (pas gratuite ! grâce au pillage de ses ressources) d’être espionné par le réseau "Echelon" !
La culture de la naïveté par rapport à l’anglais que certains proclament la "langue universelle" au nom d’un prétendu réalisme ne doit donc pas nous étonner. Il nous incombe donc de dévoiler ce mécanisme qui mène à la ségrégation linguistique puis à la vassalisation de tous les peuples non anglophones. Dans cette course au pouvoir sur le monde, la vassalité n’a jamais suscité le respect des maîtres mais, au contraire, rien d’autre que leur mépris et leur arrogance.