Espéranto ?

Publié le jeudi 1er décembre 2005 , mis a jour le lundi 4 décembre 2006

Curieusement, sous le titre "Espéranto ?", par une allusion à "un anglais de cuisine — une sorte d’espéranto économique", M. Philippe Meirieu détourne finalement les lecteurs de la proposition la plus économique, la plus équitable et la plus digne d’attention du récent Rapport Grin.

Il est difficile d’imaginer qu’une personne aussi impliquée que Philippe Meirieu dans la recherche pédagogique n’ait pas eu connaissance de ce rapport commandé par le Haut Conseil de l’évaluation de l’école et publié au mois d’octobre sous le titre "L’enseignement des langues étrangères comme politique publique".

Le temps est venu de distinguer l’anglais —langue avant tout nationale et inappropriée pour jouer le rôle de langue internationale— , de l’espéranto — langue internationale conçue pour jouer ce rôle.

Déjà peu approprié pour les anglophones, du fait qu’il en existe 38 variantes, comment l’anglais pourrait-il l’être pour plus de 95% de la population mondiale non anglophone par la naissance ? Bien sûr, ça peut en amuser certains d’entendre parler ainsi de l’anglais qu’ils croient et voudraient faire croire déjà parlé de tous, alors qu’ils n’ont jamais entendu parler de l’espéranto, sinon en terme dévalorisants.

Imposé au monde bien plus souvent que choisi (le "choix" par la contrainte de la nécessité est-il un choix ?), l’anglais à un tout autre visage qui a été montré par un ancien du British Council : le professeur Robert Phillipson, auteur de "Linguistic Imperialism" (Oxford University Press, 1992).

Le jeu de la communication internationale par l’anglais est truqué. Les enjeux sont colossaux, et rares sont ceux qui ont le courage d’appeler les choses par leur nom. Le professeur Grin a fait un pas. Qui osera le suivre et faire avancer la recherche ?

Toutes les expériences réalisées jusqu’à ce jour depuis le début du siècle dernier ont conduit à une même constatation : en plus de donner aux élèves la possibilité de maîtriser une langue internationale avant la fin de leur scolarité, l’espéranto comme première langue est le meilleur simulant pour l’approfondissement de la langue parentale et l’apprentissage des autres langues. Pour ne citer qu’un exemple, l’auteur de "Langues sans frontières" (éd. Autrement), a appris l’espéranto dans sa jeunesse et il a été amené, durant sa carrière de fonctionnaire international, à parler, écrire et traduire pas moins de 50 langues, y compris l’espéranto.

Le meilleur moyen de garantir l’avenir de cet "anglais de cuisine" qui "envahit notre vie quotidienne", comme semble le déplorer Philippe Meirieu, est-il de pousser les gens à se résigner à le subir ? Peut-on déplorer une situation et détourner l’attention d’un antidote possible ?

Quant aux politiques, ils sont aussi inconscients et imprévoyants en ce domaine qu’ils l’ont été à propos du malaise des jeunes et des problèmes des banlieues.

Henri Masson