La connaissance des langues au service de l’espéranto

Publié le jeudi 24 novembre 2005 par admin_sat , mis a jour le samedi 24 décembre 2005

Lorsqu’on veut montrer les avantages que représente l’apprentissage de l’espéranto, on évoque le « tremplin » qu’il constitue vers les
autres langues, et on a raison ! Sa souplesse et sa logique ouvrent les portes vers d’autres idiomes. Cependant, l’inverse est tout aussi
justifié : la connaissance préalable de langues étrangères facilite grandement la découverte de la langue internationale. J’en veux pour
preuve mon expérience personnelle.

Durant ma scolarité (obligatoire et supérieure), j’ai appris l’allemand (8 ans), l’anglais (6 ans), le latin (4 ans), le grec (2 ans) et
l’italien (2 ans) en plus du français, ma langue maternelle. Cela ne veut pas dire que je suis un parfait polyglotte, loin de là ! L’abandon
de certaines langues ne m’a laissé que quelques vagues souvenirs. La grammaire (oui, oui, on l’étudiait encore de façon approfondie
 !) du latin, du grec et de l’allemand, bien que différente, m’a fait comprendre la déclinaison ou le fait que la finale d’un mot est
plus importante que sa place dans la phrase.

C’est donc avec ce bagage que je me suis lancé dans l’apprentissage de l’espéranto.Quand je lisais que le complément d’objet direct (terme inconnu de nos écoliers actuels, en tout cas en Suisse romande) prenait la finale –n, je n’avais aucune peine à rapprocher cela de l’allemand (accusatif) ; de même, quand j’ai constaté (et non appris) que le lieudéplacement employait cette même terminaison.

Le féminin formé par le suffixe –in- (instruistino, amikino, policistino) n’a été qu’un rappel (Lehrerin, Freundin, Polizistin,
…). Bien sûr, étant enseignant indépendant de langues, je maîtrise la grammaire et ses termes particuliers. N’allez pas croire que chaque
espérantiste est un grammairien chevronné.

Certains omettent la terminaison définissant le complément, non par paresse, mais par ignorance de la grammaire de leur langue
maternelle. En effet, comment comprendre le passif ou le participe, si on ne sait pas ce que c’est dans sa propre langue ? Une terminaison
manque et on ne sait plus qui est sujet et qui est objet : la instruisto salutas la lernanton (l’instituteur salue l’élève) ou la lernanton salutas la instruisto (ici on insiste sur le complément
élève) ou encore la instruiston salutas la lernanto (l’élève salue le maître), ce qui revient à la lernanto salutas la instruiston. Si
on retire la terminaison *la instruisto salutas la lernanto*, qui salue qui ? Les francophones pensent trop souvent que le sujet précède toujours le verbe et le complément ; le premier terme est donc le sujet. Cette règle n’est pas applicable à l’allemand, qui place au début le
complément pour insister sur celui-ci. J’ai encore appris que l’expression antaŭnomo (avant nom = prénom) n’est pas compréhensible
par des Japonais qui mettent le prénom après le nom. On a donc préféré persona nomo (nom personnel).

Je discutais avec une élève qui a remarqué une brochure expliquant les bases de la langue internationale (L’espéranto, c’est dans la
poche !, PackEo, http://esperanto.bretonio.free.fr/pakeo.htm). Après un rapide survol, elle m’a dit : « Oh, mais c’est dur ! » En effet,
n’ayant pas encore acquis les bases nécessaires nécessaires
dans sa propre langue, elle ne pouvait aborder l’espéranto aussi aisément que moi.

De plus, elle pensait que « facile » voulait dire « sans efforts », erreur que font beaucoup d’élèves.

L’espéranto me permet de construire une phrase « à la française » (sujet – verbe – infinitif – compléments) ou « à l’allemande »
(sujet – verbe – complément – infinitif) et ainsi d’adapter la syntaxe à mon interlocuteur.

J’ai également assimilé rapidement le vocabulaire : tago, danki, monato, somero, hundo, knabo, … venant de l’allemand ou : birdo,
helpi, blovi, kato, boato, … venant de l’anglais tout comme l’invariabilité des formes verbales personnelles. Cela ne me choque
nullement d’entendre un espérantiste me dire Mi dankas al vi (traduction littérale de Ich danke Dir), je comprends tout à fait l’emploi du groupe prépositionnel. Alors que “Je remercie à toi“ est fautif en français. Un groupe tel que La al vi hieraŭ sendita letero
est pour moi très compréhensible, un francophone utiliserait sans doute La letero, kiun mi sendis al vi hieraŭ, (La lettre que je t’ai
envoyée hier), forme tout aussi pertinente.

Mais l’espéranto a aussi ses spécificités : le participe passif futur, par exemple (la legota letero = la lettre qui sera lue), ou la construction très logique des dérivés (pano, pana, paneto, panisto, panejo, panaĉo, …) qui montre toujours parfaitement le lien avec le mot originel. Le français utilise pain, boulanger, boulangerie et l’allemand Brot, Brötchen, Bäcker, Bäckerei, …

Aujourd’hui, l’étude des langues est beaucoup trop superficielle et, surtout, elle ne peut s’appuyer sur une connaissance précise de la
grammaire. Mon père m’expliquait que, quand il commença l’allemand à l’école (fin des années quarante), il maîtrisait déjà parfaitement
les notions grammaticales : il savait ce qu’était un sujet, un complément d’objet direct, indirect, un complément du nom (les 4
« cas » de l’allemand), une préposition, une subordonnée… J’ai encore pu bénéficier d’un tel enseignement. Cela a bien changé : on fait
apprendre des phrases par cœur, mais on n’explique pas pourquoi l’article change de forme, pourquoi l’adjectif prend un –n, pourquoi on
ajoute zu, … Une de mes élèves m’a même clairement dit : « Pourquoi apprend-on l’allemand ? On ne saura jamais le parler correctement ! » En anglais, je l’ai constaté, après près de 8 mois d’étude, l’élève n’a toujours pas abordé la conjugaison du présent simple (formes semblables à l’infinitif, sauf -s- à la 3e du singulier) !

L’espéranto a réactivé des réminiscences que je croyais totalement oubliées. Dernièrement encore, j’écoutais un reportage en italien (langue apprise mais vite oubliée, faute de pratique). J’y ai entendu le mot sicurezza que j’ai immédiatement comparé, à juste titre, à sekureco (sécurité). Ainsi, chaque langue sert les autres. Sachons tirer parti de telles qualités !

En conclusion, le Docteur Zamenhof inventa l’espéranto à partir des langues qu’il connaissait. Il a donc utilisé les avantages de celle-ci, rejeter les exceptions de celle-là.

L’espéranto n’est pas le fruit de la « génération spontanée », mais d’un long travail de comparaison et de logique. La connaissance
des langues nationales n’est que bénéfique à l’approche de l’espéranto. Lorsque j’ai conversé avec une espérantiste polonaise, et
que je lui ai dit que j’avais consacré une soixantaine d’heures à l’apprentissage de l’espéranto, elle m’a répondu que je devais être
un talenta homo (être talentueux). Plus modestement, je pense avoir utilisé au mieux ce que j’ai étudié dans les diverses langues,
considérant l’espéranto comme une « synthèse » et non comme une nouveauté. Ce qui me parut nouveau, c’était sa logique et sa pertinence.

Apprendre l’espéranto avant ou après d’autres langues, est, somme toute, bien égal. Le principal est de ne pas manquer tout ce que
peut nous offrir la langue internationale au niveau humain, c’est là son principal avantage.

Jean-Marc Leresche, août 2005