2007 : deux anniversaires

Publié le vendredi 5 janvier 2007

Nostradamus

L’astrologie n’est pas notre spécialité, mais il est déjà possible de dire que ce n’est pas en 2007 que l’espéranto disparaîtra... Aucun de ceux qui ont prédit sa mort n’a dépassé l’âge de 120 ans.
Deux ans et 165 jours après son 120ème anniversaire, l’espéranto dépassera l’âge de Jeanne Calment qui fut considérée comme la "doyenne de l’humanité". Née en 1875 à Arles (Bouches-du-Rhône), elle avait côtoyé l’espéranto. Elle s’était éteinte en 1995, à l’âge de 122 ans et 164 jours.
Quant à Nostradamus, né dans la même région, il est sans doute facile de lui faire dire n’importe quoi, mais ce quatrain de ses “Centuries“ est peut-être le moins alambiqué de tous ceux qu’il a écrits... :

Du plus profond de l’Occident de l’Europe,
De pauvres gens un jeune enfant naistra,
Qui par sa langue seduira grande troupe
Son bruit au regne de l’Orient croistra.
“ (1)

Zamenhof est né à Bialystok, près de la frontière polono-russe, au plus profond de “l’Occident de l’Europe“, de gens qui, sans être “pauvres“ ne roulaient pas sur l’or. Mais “pauvre“ peut être interprété aussi comme vivant dans l’insécurité et l’angoisse du lendemain dans un pays sous occupation et rayé de la carte. La langue qu’il a proposée au monde a effectivement séduit et continue de séduire là où l’information n’est pas entravée. Et c’est un fait qu’elle est utilisée en Orient. Curieux...

Trop facile

Dans “Israela Esperantisto“(2), sous le titre “Trop facile, et dangereuse pour cette raison“, Alexandre Kharkovski (États-Unis) a publié, un article sur le temps où, en Union soviétique, l’espéranto était suspect :
A l’époque stalinienne, en Union soviétique, l’espéranto était considéré comme langue de complots et d’opposition au régime. Malgré cela, il y avait des gens qui le pratiquaient à travers le pays. Confirmation en a été donnée par Semion Podkaminer, un fervent espérantiste. Lors d’un vol à Moscou, un colonel du NKVD (Gestapo soviétique), Romanov, membre du Politburo, avait remarqué son étoile verte (l’insigne symbolisant l’espéranto). Celui-ci lui avait fait comprendre qu’il était facile d’espionner avec une telle langue. Podkaminer, qui était lui-même colonel de l’Armée Rouge, avait exprimé son désaccord en disant qu’il y avait plus de chances de réussir à espionner avec l’anglais du fait qu’il est était parlé par des millions et des millions de personnes.
Le colonel Romanov lui avait alors répondu : "Non, l’anglais ne convient pas. Les gens l’apprennent durant de nombreuses années, et, ensuite, le balbutient à peine. C’est une langue diablement difficile. L’espéranto est sans aucun doute plus facile. J’ai ordonné d’apporter son manuel ; après quelques leçons, je lisais déjà en espéranto. Une langue dangereuse, très dangereuse. Je suis en ce point de l’avis du camarade Staline. Il l’a nommé "langue d’espions et de sionistes".
Pour beaucoup de gens, y compris des intellectuels, il est encore inimaginable que l’espéranto soit devenu une langue vivante, expressive, riche en ressources, dans laquelle les pires régimes ont vu un danger (v. ci-après : "La danĝera lingvo").

Changement d’opinion

Spécialiste de philologie romane, Karl Vossler (1872-1949) avait écrit en 1925, dans “Geist und Kultur in der Sprache“ (Heidelberg, 1925, p. 185) : “Le bolchevisme et le communisme internationaux ont pénétré la grammaire de l’espéranto“. Après la seconde guerre mondiale, il avait expérimé un avis tout à fait différent dans “Volkssprachen und Weltsprachen“ (Drei Fichten Verlag R. Vonficht 1946, p. 25) : “Pourquoi donc pas maintenant, après les épreuves et expériences terrifiantes des deux guerres mondiales, ne doit pas apparaître, où que ce soit, une sorte de vrai poète de la réconciliation entre les peuples. Le poète de la compréhension mondiale libre, non imposée, non censurée, du coeur à coeur battant loin de toutes les envies nationales. Pourquoi ne chanterait-il pas son espoir et sa foi dans l’humanité dans une langue n’appartenant à aucun peuple, la langue n’ayant ni des sortes de réminiscences ni d’orgueil, qui ne cultive pas dans son vocabulaire la jalousie et la vengeance ? Et pourquoi cette langue ne serait-elle pas l’espéranto ? Il ne sera pas la langue parentale, mais la langue fraternelle. Je ne souhaite pas prophétiser, je ne connais pas l’avenir. Qui aurait aussi le courage de prévoir les motifs et la langue d’un futur écrivain ! Si j’avouerai et serai sincère, je ne peux que dire : J’ai de l’espoir, et c’est, certes, le sens de l’espéranto...“(3)

Paru d’abord en espéranto (version la plus complète)

 “La danĝera lingvo. Studo pri la persekutoj kontraŭ Esperanto“. Gerlingen : Bleicher, 1988. - Seconde édition avec postfaces de Detlev Blanke et Sergueï Kuznetsov. Moscou : éd. Progreso, 1990. 568p.

 et en allemand — “Die gefährliche Sprache. Die Verfolgung der Esperantisten unter Hitler und Stalin“. Gerlingen : éd. Bleicher, 1988. 326p.

cet ouvrage sur les persécutions contre l’espéranto est paru ensuite en diverses traductions :

 japonais — “Kiken na gengo. Hakugai no naka no esuperanto“. Tradukis KURISU Kei. Tokyo : Iwanami, 1975. V+261p.

 italien — “La lingua pericolosa. Storia della persecuzioni contro l’esperanto“. Trad. Giordano Formizzi et G. Barelli. Piombino : TraccEdizioni, 1990. 382p.

 russe — “Opasnyj jazyk. Kniga o presledovanijah esperanto“. Trad. Viktor Arolovich, Lev Vulfovich et Ludmila Novikov. Moscou : Prava cheloveka et Impeto, 1999. 576p.

 lituanien — “Pavojingoji kalba. Esperantininku persekiojimai“. Trad. Vytautas Rinkevicius. Vilnius : Mokslo ir enciklopediju leidybos institutas (Institut d’édition de livres scientifiques et encyclopédiques), 2005. 462 p.

1. http://cercle.nostra.online.fr/c0201_x.htm
2. http://www.ie.esperanto.org.il/143/16.html
3. “Pri internacia lingvo dum jarcentoj“. Isaj Dratwer, auto-édition, Tel-Aviv, 1977 p. 159.