George Orwell et l’espéranto

Publié le vendredi 1er octobre 2004 par admin_sat , mis a jour le jeudi 30 septembre 2004

Orwell avait observé également que la langue jouait un rôle extrêmement important pour modifier la réalité,
prévenir la double-pensée et imposer une idéologie. Selon Jean-Claude Michéa, le langage est même devenu, avec
le temps, un des principaux sujets de préoccupation d’Orwell. En son temps, il s’était intéressé de près aux langues artificielles notamment à l’espéranto. "Il est d’ailleurs infiniment probable que ce soit l’esperanto qui ait suggéré à Orwell ses principales idées sur la simplification des grammaires naturelles", écrit Michéa (p. 53).
 [1]

Né du mariage d’Ida Limouzin, dont le père était d’origine française, avec Richard Blair, George Orwell, de son vrai nom Eric Blair, ne pouvait en effet ignorer l’existence de l’espéranto. Soeur d’Ida, Ellen Kate était la tante préférée de George Orwell.

Durant une dizaine d’années, à partir de 1925, Ellen Kate Limouzin fut la compagne de Lanti (pseudonyme de Eugène Adam), le fondateur de SAT, une organisation à vocation socio-culturelle qui adopta l’espéranto
comme langue de travail dès sa fondation, à Prague, en 1921. Elle-même espérantiste et membre de SAT, Ellen Kate Limouzin s’était proposée de l’aider dans son travail pour SAT.

Elle vint loger chez lui, 14, avenue de Corbéra, à Paris (XIIème arr.). George Orwell séjourna brièvement plusieurs fois chez eux.

Des discussions longues et passionnées s’y poursuivaient très tard dans la nuit sur la politique, le communisme et la philosophie. Après la séparation, lorsque Lanti entreprit un tour du monde, en 1936, Ellen Kate regagna
l’Angleterre. Elle eut à nouveau des contacts avec George Orwell. Il apparaît qu’Orwell fut influencé aussi par des espérantistes politiquement engagés qu’il fut amené à fréquenter. Parmi ses fréquentations, il y eut
la famille Westrope qui tenait une librairie dans laquelle Orwell travailla à partir de 1934. Francis Westrope, qui avait été objecteur de conscience durant la première guerre mondiale, avait appris l’espéranto. Myfanwy, son épouse, membre du Parti Travailliste Indépendant dès 1905, avait été très active dans le mouvement des sufragettes.

C’est autour des années 1936 qu’apparaît une convergences des points de vue vis-à-vis du communisme tel qu’il apparaît en Union Soviétique. En 1934, à l’époque où Lanti avait pris ses distances par rapport au communisme et où des intellectuels de haute volée,
qui regardaient l’espéranto avec dédain, condescendance ou mépris, faisaient les louanges du régime soviétique, SAT plublia “Esquisse sur la philosophie de l’homme libre” de Paul Gilles. Orwell avait pris connaissance de ce livre. En 1935, un opuscule de 52 pages signé par E. Lanti et M. Ivon parut sous le titre "Ĉu socialismo konstruifias en Sovetio ?” (Le socialisme se construit-il en Union soviétique ?). Il portait le nom d’édition “Biblioteko de Herezulo” (Bibliothèque d’un hérétique), Esperanto, 14, avenue de Corbéra, Paris (XII). La conclusion était : “c’est le fascisme rouge qui règne en Union Soviétique !”.

L’histoire allait démontrer que, à l’opposé de la Novlangue, l’espéranto avait une vocation émancipatrice, libératrice et éducative en opposition à l’idée que les pouvoirs totalitaires se font de la communication.

En 1937, Staline dicta à Nikolaï Ejov, le chef du NKVD, la liste des catégories de personnes suspectes. Dans le dernier des cinq groupes, “les citoyens ayant des contacts avec l’étranger”, se trouvaient “Tous ceux qui ont vécu à l’étranger et qui connaissent de leur propre expérience la période ayant précédé la guerre, et tous ceux qui ont des amis ou des parents à l’étranger et correspondent avec eux ; les collectionneurs de timbre-poste et les espérantistes... [2]
Le but de la Novlangue (“Newspeak”, ou “Novparol” en espéranto) imaginé par Orwell dans son roman 1984 est évidemment tout à fait à l’opposé de ce que visait le Dr Zamenhof lorsqu’il proposa l’espéranto.

“Le seul but de Novparol est de réduire l’espace
de pensée”, écrit Bert de Wit [3].

Voilà quelque chose qui, dans un autre domaine, ferait penser à une certaine allusion de Patrick Le Lay, PDG de TF1, qui réserve l’espace de cerveau des téléspectateurs à Coca Cola !... (voir La SAGO n° 8).

Henri Masson