Inconscience et négligence

Publié le jeudi 3 mai 2007


L’emploi de l’anglais accroît l’influence politique des pays anglophones beaucoup plus puissamment qu’une forte économie ou une grande puissance de feu. (“International Herald Tribune”, 7 juillet 1992).

En 1991, le “Daily Mail” avait déjà annoncé la couleur : “Notre langue est tout près d’être universelle. Voici quelques années, elle a été acceptée avec le français comme l’une des deux principales langues de la CEE. Maintenant elle doit devenir l’unique langue officielle de la Communauté”.

Les signes n’ont pourtant pas manqué durant ces dernières décennies sur les ambitions des deux puissances majeures du groupe d’espionnage Echelon. Sans remonter à l’”Anglo-American Conference Report 1961”, qui dressait déjà les grandes lignes d’un projet d’asservissement du monde par l’anglais, le 20 février 1997, Madeleine Albright, alors secrétaire d’État du président Bill Clinton, déclarait : “L’un des objectifs majeurs de notre gouvernement est de s’assurer que les intérêts économiques des États-Unis pourront être étendus à l’échelle planétaire.” Plus récemment, en 2002, la conseillère de G. W. Bush pour les Affaires étrangères, Condoleezza Rice, confirmait cette vision de la politique étasunienne : ”Le reste du monde trouvera avantage à ce que les États-Unis défendent leurs propres intérêts, car les valeurs américaines sont universelles.” Bon nombre de politiciens se laissent endormir par de tels propos. Pour eux, il n’est point de salut sans l’anglais, et toute discussion sur une alternative possible est exclue.

Les plus ardents partisans de l’impérialisme étasunien, souvent religieux dans ce que ce mot a de plus hypocrite, de fanatique et de mensonger, sont généralement des anglophones de naissance ou d’adoption. George W. Bush appartient lui-même aux WASP (White Anglo-Saxon Protestants) qui estiment et cherchent à faire croire qu’ils appartiennent à un peuple choisi par Dieu pour coloniser le monde et le mener à leur guise. Et ceci pour le profit, non point de Dieu, mais d’étouffeurs de la démocratie pour qui l’intérêt général de l’humanité est moins que secondaire : “Il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais”, déclarait, en 1997, David Rothkopf, directeur général du cabinet de conseils « Kissinger Associates », entreprise de consultance au service du gouvernement étasunien.


" Il fut un temps où nous avions l’habitude d’envoyer à l’étranger des canonnières et des diplomates ; maintenant nous envoyons des professeurs d’anglais. " (British Council)

Plus récemment, l’”International Herald Tribune” (7 avril 2007, repris par “Courrier International”) annonçait triomphalement l’existence d’un milliard de locuteurs de l’anglais et reproduisait l’avis de “spécialistes” selon lesquels l’anglais serait déjà parlé un homme sur quatre dans le monde. Incapables de faire la différence entre une langue et un sabir, certains nous rebattent aussi les oreilles avec des avis selon lesquels l’anglais n’appartiendrait déjà plus aux natifs anglophones.

L’anglais, le vrai, appartient toujours aux natifs anglophones : moins de 5% de l’humanité. L’acquisition de la version ratatinée, du “Broken English”, celle qui suffit pour “se débrouiller”, coûte excessivement en temps, en argent et en efforts par rapport à ce qui suffirait pour l’espéranto.

Charles Dickens avait écrit : "La difficulté d’écrire l’anglais m’est extrêmement ennuyeuse. Ah, mon Dieu ! si l’on pouvait toujours écrire cette belle langue de France !“.

Et, cependant, le français n’est certainement pas un modèle de facilité...

Il existe, en Grande-Bretagne, une campagne “pour simplifier l’orthographe à la mode SMS" : la Simplified Spelling Society (SSS : Fondation pour la simplification de l’orthographe). Selon John Gledill, son directeur, “la moitié des anglophones du monde entier peinent à écrire l’anglais” (...) “Les enfants d’autres pays européens apprennent à lire et à écrire beaucoup plus vite que les petits Britanniques. Il ne faut que deux ans aux Italiens tandis que les Britanniques peuvent y consacrer jusqu’à 12 ans.(Reuters)”

Et ceci sans parler de la dyslexie, nettement plus fréquente chez les anglophones, et qui est deux fois plus répandue aux États-Unis qu’en Italie. Sa description en 1896, a d’ailleurs été faite pour la première fois par le Dr Pingle Morgan dans le “British Medical Journal”. Et c’est une telle langue, véritable chef d’oeuvre d’incohérence, dans laquelle le célèbre écrivain George Bernard Shaw voyait ”un système si illogique et inadapté” que sa simplification était impossible, que certains veulent imposer à l’humanité alors que, en 1924, 42 savants de l’Académie des sciences avaient reconnu en l’espéranto “un chef-d’oeuvre de logique et de simplicité”.
Pourquoi diable l’humanité accepte à plus de 95%, dans le rôle de langue internationale, au profit d’une minorité avide de profits et qui détient tous les leviers de commandes, une langue nationale qui est déjà trop difficile pour les locuteurs natifs ? Est-ce que les politiciens qui admettent cela, et qui doutent sans savoir pourquoi de l’espéranto, n’ont pas conscience que le monde entier perd beaucoup en cela ? Croient-ils, comme religieusement, que cet ordre linguistique correspond à une volonté divine et que l’on ne doit surtout pas tenter d’y changer quoi que ce soit, ni même de faire des recherches, des expériences, des comparaisons ? Où sont les illuminés ?
Selon une dépêche de l’AFP (30 mars 2007) les participants du 4ème Congrès de la langue espagnole, à Cartagena (Colombie), ont dénoncé l’invasion de l’anglais “qui handicape le développement de la culture latino-américaine.” alors que l’utilisation de l’espagnol, parlé par plus de 400 millions de personnes dans 23 pays, est en forte progression. Les représentants de la culture hispanique ont exprimé leur inquiétude par rapport à l’avenir de la littérature et de la chanson en espagnol et à sa faible utilisation sur Internet.


Ceux qui possèdent les mots, la langue, possèdent aussi la pensée et, si l’on possède la pensée des autres, on possède tout le reste. “ (Vladimir Volkoff)
L’effacement d’une langue, c’est aussi l’effacement de la mémoire sociale. On nous martelle qu’il n’est point de salut sans l’anglais. En fait, certains font en sorte pour qu’il en soit ainsi en faisant barrage à la découverte d’une alternative efficace, économique, équitable . A nous de marteler que l’anglais coûte beaucoup plus qu’il n’apporte à la société.

Henri Masson