Défonce d’un journaliste

Publié le vendredi 1er décembre 2006 , mis a jour le mercredi 29 novembre 2006

Sous le pseudonyme “Asp Explorer“, l’auteur de la page ainsi intitulée tire à boulets rouges sur l’espéranto et surtout sur celui qui, sur “AgoraVox“, a osé faire connaître l’affaire Bénichou.

Ce “Asp Explorer“ s’est d’abord manifesté en faisant valoir sa “formation scientifique“, mais il est vite apparu que celui qui se cache sous ce pseudonyme prétentieux défend l’anglais et vante aussi le boursicotage. Ses attaques les plus récentes étaient précédées par une illustration halloweenesque assez révélatrice de la personnalité de l’individu.Mieux encore, sur la page web en question, il indiquait sa principale référence “scientifique“ et source précise de son inspiration : “Et voici que ma plume me démange, je la sors donc de mon cul et me lance dans une de ces analyses courtoises et mesurées qui, vous le savez, sont ma spécialité.“ !

Pierre Bénichou, celui qui avait dit de l’espéranto, dans l’émission “On va s’gêner“ de Laurent Ruquier, sur “Europe 1“ : “C’est une merde !“, serait-il vraiment idiot au point de se chercher un “défenseur“ aussi minable ?
Il est vrai qu’il y a une certaine cohésion entre les propos de cet énergumène et la terminologie scatologique de Bénichou. Il indiquait enfin un site en anglais où apparaissent tous les reproches faits à l’espéranto, en fait tous les préjugés déjà connus et ressassés depuis que cette langue existe, comme on peut le voir et l’entendre à chaque instant, y compris dans “Le Monde“ (voir en p. III).

Une objection fréquente concerne le fait que l’enseignement et la pratique de l’espéranto ne soient pas encore généralisés dans le monde entier après bientôt 120 ans d’existence. Il ne faut pas sous-estimer les obstacles politiques pour comprendre cela, ce qui nécessite une bonne connaissance de son histoire (le premier manuel d’espéranto est paru seulement 20 ans après "Le Capital", de Karl Marx). Et puis, d’une façon générale, le public ne cherche pas à s’informer, à réfléchir, à tenter l’expérience lorsqu’il entend à longueur de journée que, d’une part, il n’est point de salut en dehors de l’anglais, que nul n’existe sans lui, et lorsque, d’autre part, on lui assène d’une façon aussi permanente que l’espéranto n’a jamais marché ou ne marchera jamais, que “personne ne le parle“ (dixit Bénichou). C’est bien sur ça que misent ses adversaires et détracteurs. Le plus grave, c’est lorsque des personnes nettement plus instruites que la moyenne peuvent avoir des comportements invraisemblables par rapport à la question. Il arrive que l’intelligence ne soit pas au rendez-vous. Un exemple tout récent : le 10 novembre 2006, dans l’émission "Inoxydable" de “France Inter“, l’invité de José Artur était Alain Rey. C’est sans nul doute un homme instruit, très cultivé, intelligent, un érudit. Or, en parlant de l’espéranto, il a dit :
Alors, c’est une langue artificielle. C’est une langue qui est fabriquée par un type très bien, qui s’appelait Zamenhof — il était polonais — et qui a inventé une langue avec comme base uniquement des mots indo-européens, surtout venus du latin. Donc c’est une langue qui peut marcher entre Européens, mais qui ne peut pas marcher avec les Chinois, évidemment.

Ainsi, les auditeurs, tout autant que José Artur — qui a cru judicieux d’ajouter, sans doute de bonne foi, puisqu’il n’en sait vraisemblablement pas plus (?) : “Du tout !“ —, se seront laissés abuser par une personne que l’on peut supposer être de bonne foi et surtout qualifiée pour en parler. Ce “évidemment !“ en dit long : inutile d’en discuter !

Dommage que José Artur n’ait pas eu l’idée de demander à Alain Rey s’il se foutait du monde. En effet, comment l’espéranto ne pourrait pas marcher avec les Chinois, alors que l’anglais et le français, autrement plus complexes, à bases indo-européennes aussi, dans lesquelles il puise beaucoup de racines, fonctionne ? La conjugaison n’existe pas en chinois. En français, elle est très compliquée : il existe des dictionnaires pour la conjugaison de 12 000 verbes et même des sites dédiés, ce qui est parfaitement inutile pour l’espéranto. En anglais, elle est plus simple mais de loin plus compliquée qu’en espéranto, lequel n’a aucun verbe irrégulier. Les complications de l’anglais sont ailleurs : prononciation, intonation, polysémies, idiotismes, etc..

Dans les faits, l’espéranto fonctionne déjà depuis longtemps en Chine : “Radio Chine Internationale“ l’utilise régulièrement. L’un des plus grands écrivains chinois, Pa Kin, était espérantiste. C’est en Chine que, pour la première fois au monde, l’espéranto fut officiellement introduit dans l’enseignement par décret de Tsaï Yuanpeï, ministre de l’éducation du gouvernement (certes très bref) de Sun Yatsen, en 1912. La Chine figure parmi les onze pays qui apportèrent leur soutien à l’espéranto auprès de la Société des Nations (SDN) dans les années 1920 et, plus tard, lors des Conférences Générales de l’Unesco, en 1954 (Montevideo) et 1987 (Sofia). C’est en Chine que fleurissent des initiatives pour étendre son champ d’applications.

Le comportement d’Alain Rey, par rapport à l’espéranto, est loin d’être une exception. Aussi édifiante qu’elle soit, l’information a du mal à atteindre les représentants de notre élite intellectuelle. Bon nombre d’entre eux pourraient et devraient reconnaître, comme le professeur Umberto Eco : “Mais je dois dire que, dès que pour des raisons scientifiques j’ai commencé à m’occuper un peu de l’espéranto, j’ai changé d’avis et adopté une attitude plus souple“ ou, comme le professeur Robert Phillipson : “Le cynisme à propos de l’espéranto a fait partie de notre éducation

H.M. 

* N° 28, août-septembre 2006, p. I, II et III.

Voir aussi :
L’omertà médiatique

Dis donc, Laurent !

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