Satesperanto.org - 16 août 2011 - La main d’œuvre jetable du nucléaire japonais

Yasuo HORI est un espérantiste japonais qui envoie au monde espérantiste des rapports sur la situtation au Japon régulièrement depuis le 11 mars, rapports que centralise et publie le site de SAT "pour informer plus largement tous les camarades qui sont concernés par ces événements malheureux. Soutien solidaire à tous ceux qui en souffrent."

Nous publions ci-dessous en traduction française un exemple de ces rapports, dont la totalité est consultable en espéranto sur le site de SAT :
 http://satesperanto.org/-Taglibro-d...

Une sélection de ces rapports est traduite en français et mise en ligne sur le site du Centre Culturel Angevin d’Espéranto :
 http://www.esperanto-angers.fr/spip...

La main d’œuvre jetable du nucléaire japonais

Après le travail, les travailleurs se sont réunis dans le hall de la centrale.

Depuis longtemps, j’avais envie d’écrire sur la situation des travailleurs dans les centrales nucléaires, mais le manque de temps m’en a empêché. Le 13 août un éditorial traitant de ce thème est paru dans le journal Akahata (journal du parti communiste japonais ), et je l’ai trouvé très bon, c’est pourquoi j’ai décidé de le traduire au lieu d’écrire moi-même un article.

On ne pourra pas maîtriser les réacteurs en utilisant de la “main d’œuvre jetable”

Cinq mois sont déjà passés depuis l’accident de la centrale nucléaire N°1 de Fukushima appartenant à la Compagnie d’électricité de Tokyo (TEPCO). On a trouvé des secteurs de terrain extrêmement pollués par la radioactivité. Et de nombreuses autres difficultés s’y ajoutent. C’est pourquoi le travail de remise en état des réacteurs est extraordinairement difficile.

Les travailleurs exposés à un tel niveau de radioactivité pourront subir des effets aigus sur leur santé ou bien des effets différés dans le temps. Les travailleurs qui ont reçu une radioactivité supérieure à la norme définie dans la loi sur la santé au travail doivent impérativement cesser leur travail. S’il n’était pas possible d’organiser un système convenable de contrôle de la santé des travailleurs, la maîtrise des réacteurs deviendrait plus difficile.

On compte déjà des victimes

Depuis le début, les centrales nucléaires sont administrées selon un schéma anormal, en effet elles sont gérées par un petit nombre d’employés des compagnies électriques et par de très nombreux travailleurs embauchés par des sociétés sous-traitantes. Avant l’accident survenu dans la centrale nucléaire N°1, il n’y avait que 1000 salariés réguliers de TEPCO, mais ils avaient sous leurs ordres plus de 9000 travailleurs.

Tant que les réacteurs sont en service normal, on n’a pas besoin d’une telle quantité d’ouvriers, car tout le contrôle du réacteur et du système peut être effectué à partir de la salle de contrôle, mais lors des arrêts programmés tous les 13 mois pour l’inspection des installations, on a besoin d’un grand nombre de travailleurs. On a alors recours aux travailleurs intérimaires. Ces ouvriers sont essentiellement chargés des travaux dangereux tels que le contrôle et la réparation des instruments de mesure et des tubes, ainsi que le nettoyage de la boue radioactive qui s’est accumulée dans les réacteurs.

Lors du symposium organisé par la Ligue des avocats, M. Watanabe Hiroyuki, membre du Parti Communiste et conseiller municipal d’Iwaki dans la circonscription de Fukushima, ville voisine de la centrale, a expliqué la situation de ces travailleurs : TEPCO paie 50 000 à 100 000 yen (500 / 1000 euros) par travailleur et par jour travaillé, mais entre TEPCO et les sociétés qui embauchent ces ouvriers il y a d’autres sociétés intermédiaires qui empochent une partie de la somme payée, de telle sorte qu’au bout de cet enchaînement de sociétés les travailleurs ne reçoivent que 6500 à 12 000 yen (65 / 120 euros). Ils se plaignent de ne recevoir aucune compensation à leurs sévères conditions de travail en milieu radioactif.

Actuellement encore, TEPCO fait venir des travailleurs et les fait travailler de la même façon qu’avant l’accident. Le 24 mars, plusieurs ouvriers ont été exposés à une radioactivité supérieure à la normale en intervenant dans la flaque souterraine. TEPCO avait ordonné aux ouvriers d’y pénétrer, sans avoir mesuré auparavant la radioactivité ambiante et sans avoir attiré leur attention sur le danger de ce travail. L’entreprise accorde peu d’importance à la sécurité des travailleurs.

Après l’accident, le gouvernement a relevé la limite d’exposition des travailleurs compte-tenu de l’urgence de la situation. Son but est de déroger exceptionnellement au Code de la santé au travail pour le personnel de Fukushima, en prétextant un manque d’ingénieurs et d’ouvriers.

Après l’accident de nombreux travailleurs ont été exposés à la radioactivité, mais on tarde à leur faire passer des examens pour connaître les niveaux d’exposition corporelle. Plus de 500 entreprises sous-traitantes ont pris part au recrutement de la main d’œuvre, c’est pourquoi TEPCO ne dispose pas d’une information suffisamment détaillée sur les travailleurs qui sont intervenus. On est sans nouvelles de 144 intérimaires ; et, pour plus de 800 ouvriers, il y a peu de chances que l’on contrôle leur niveau d’exposition aux radiations. Ils sont vraiment traités comme des travailleurs "jetables".

En attendant le démantèlement des réacteurs, il faut mettre au point un système sûr

Ce démantèlement prendra beaucoup de temps et nécessitera la participation de nombreux ingénieurs et ouvriers. Dans tout le Japon, il y a une pénurie de ce type de personnels, c’est pourquoi le gouvernement et TEPCO doivent œuvrer ensemble à la réalisation d’un système sûr :
 un contrôle du niveau d’exposition aux radiations de tous les travailleurs,
 une amélioration des conditions de travail qui veille à ce que les sous-traitants ne se comportent pas en exploiteurs,
 des soins pour les travailleurs exposés aux radiations
 et une compensation de leur préjudice.

Aucune de ces exigences ne doit être laissée de côté. On ne peut pas admettre le sabotage de TEPCO. Le devoir du gouvernement est d’obliger TEPCO à maintenir de bonnes conditions de travail et à veiller à la sécurité et à la santé des travailleurs.
(Fin)

J’ajoute un petit complément. Il n’est pas facile de trouver du personnel pour effectuer ce travail dangereux dans les centrales nucléaires, c’est pourquoi les compagnies électriques recourent en secret à des personnes et sociétés douteuses qui recrutent dans les quartiers pauvres des grandes villes comme Tokyo et Osaka. Leur slogan est : "Vous pouvez gagner de l’argent en travaillant seulement quelques minutes par jour". C’est exact. Les ouvriers des centrales nucléaires travaillent à plusieurs, ils sont équipés d’un détecteur de radioactivité, puis ils pénètrent dans une zone quelconque. Si l’alarme du détecteur se déclenche au bout de 3 minutes, ils doivent cesser immédiatement leur travail pour toute la journée. De cette façon les ouvriers travaillent jusqu’à ce que leur niveau maximal d’exposition soit atteint. Il est possible que TEPCO leur verse une petite compensation en guise d’ "argent des larmes" (namida-kin en japonais), puis il les renvoie. Que pourront-ils faire ? Ils seront chômeurs et voudront certainement travailler dans une autre centrale nucléaire. En ce cas, si leur nom a déjà été communiqué aux autres centrales, ils n’ont plus le droit de travailler ; c’est pourquoi ils s’inscrivent sous un pseudonyme, afin de pouvoir à nouveau travailler dans une autre centrale. Je suppose que ces disparus de Fukushima travaillent dans une autre centrale, sous un nouveau nom. C’est sur des fondements d’une telle noirceur, d’une telle indécence que repose la production d’électricité nucléaire, au détriment des droits humains des plus pauvres.

HORI Yasuo

Traduction : JoLoKo

Source : http://satesperanto.org/La-16an-de-...